Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et il se leva de son fauteuil, chiquenaudant du doigt, avec un geste tout juvénile, les atomes de poudre blanche qui avaient volé de sa perruque sur sa culotte de velours bleu de ciel.

Puis, après avoir fait deux ou trois tours dans son cabinet de toilette, allongeant le cou-de-pied et tendant le jarret :

— Mon maître d’hôtel ! dit-il.

Cinq minutes après le maître d’hôtel se présenta en costume de cérémonie.

Le maréchal prit un air grave et tel que le comportait la situation.

— Monsieur, dit-il, je suppose que vous m’avez fait un bon dîner ?

— Mais oui, monseigneur.

— Je vous ai fait remettre la liste de mes convives, n’est-ce pas ?

— Et j’en ai fidèlement retenu le nombre, monseigneur. Neuf couverts, n’est-ce point cela ?

— Il y a couvert et couvert, monsieur !

— Oui, monseigneur, mais…

Le maréchal interrompit le maître d’hôtel avec un léger mouvement d’impatience, tempéré cependant de majesté.

Mais… n’est point une réponse, monsieur : et chaque fois que j’entends le mot mais, et je l’ai entendu bien des fois depuis quatre-vingt-huit ans, eh bien ! monsieur, chaque fois que je l’ai entendu ce mot, je suis désespéré de vous le dire, il précédait une sottise.

— Monseigneur !…

— D’abord, à quelle heure me faites-vous dîner ?

— Monseigneur, les bourgeois dînent à deux heures, la robe à trois, la noblesse à quatre.

— Et moi, monsieur ?

— Monseigneur dînera aujourd’hui à cinq heures.

— Oh ! oh ! à cinq heures !

— Oui, monseigneur, comme le roi.

— Et pourquoi comme le roi ?

— Parce que sur la liste que monseigneur m’a fait l’honneur de me remettre, il y a un nom de roi.