Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/16

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— Vingt-un ans, monseigneur ; plus un mois et deux semaines.

— Eh bien, monsieur, à ces vingt-un ans, un mois, deux semaines, vous n’ajouterez pas un jour, pas une heure. Entendez-vous ? répliqua le vieillard, en pinçant ses lèvres minces et en fronçant son sourcil peint, dès ce soir vous chercherez un maître. Je n’entends pas que le mot impossible soit prononcé dans ma maison. Ce n’est pas à mon âge que je veux faire l’apprentissage de ce mot. Je n’ai pas de temps à perdre.

Le maître d’hôtel s’inclina une troisième fois.

— Ce soir, dit-il, j’aurai pris congé de monseigneur, mais au moins jusqu’au dernier moment mon service aura été fait comme il convient.

Et il fit deux pas à reculons vers la porte.

— Qu’appelez-vous comme il convient ? s’écria le maréchal. Apprenez, monsieur, que les choses doivent être faites ici comme il me convient, voilà la convenance. Or, je veux dîner à quatre heures, moi, et il ne me convient pas, quand je veux dîner à quatre heures, que vous me fassiez dîner à cinq.

— Monsieur le maréchal, dit sèchement le maître d’hôtel, j’ai servi de sommelier à monsieur le prince de Soubise, d’intendant à monsieur le prince cardinal Louis de Rohan. Chez le premier, Sa Majesté le feu roi de France dînait une fois l’an ; chez le second, Sa Majesté l’empereur d’Autriche dînait une fois le mois. Je sais donc comme on traite les souverains, monseigneur. Chez monsieur de Soubise, le roi Louis XV s’appelait vainement le baron de Gonesse, c’était toujours un roi ; chez le second, c’est-à-dire chez monsieur de Rohan, l’empereur Joseph s’appelait vainement le comte de Packenstein, c’était toujours l’empereur. Aujourd’hui, monsieur le maréchal reçoit un convive qui s’appelle vainement le comte de Haga : le comte de Haga n’en est pas moins le roi de Suède. Je quitterai ce soir l’hôtel de monsieur le maréchal, ou monsieur le comte de Haga y sera traité en roi.

— Et voilà justement ce que je me tue à vous défendre, monsieur l’entêté ; le comte de Haga veut l’incognito le