Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

où flottait éperdu le destin d’un royaume, approchez et dites à Monsieur qu’on pouvait savoir d’avance tout ce qu’il n’a pas su.

— Sire, il était matériellement impossible de deviner des projets que cet homme cachait à tout le monde.

— Matériellement impossible ! oui, voilà un grand mot, Monsieur ; malheureusement il en est des grands mots comme des grands hommes, je les ai mesurés. Matériellement impossible à un ministre, qui a une administration, des bureaux, des agents, des mouchards, des espions et quinze cent mille francs de fonds secrets, de savoir ce qui se passe à soixante lieues des côtes de France ! Eh bien ! tenez, voici Monsieur, qui n’avait aucune de ces ressources à sa disposition, voici Monsieur, simple magistrat, qui en savait plus que vous avec toute votre police, et qui eût sauvé ma couronne s’il eût eu comme vous le droit de diriger un télégraphe.

Le regard du ministre de la police se tourna avec une expression de profond dépit sur Villefort, qui inclina la tête avec la modestie du triomphe.

— Je ne dis pas cela pour vous, Blacas, continua Louis XVIII, car si vous n’avez rien découvert, vous, au moins avez-vous eu le bon esprit de persévérer dans votre soupçon : un autre que vous eût peut-être considéré la révélation de M. de Villefort comme insignifiante, ou bien encore suggérée par une ambition vénale.

Ces mots faisaient allusion à ceux que le ministre de la police avait prononcés avec tant de confiance une heure auparavant.

Villefort comprit le jeu du roi. Un autre peut-être se serait laissé emporter par l’ivresse de la louange ; mais il craignit de se faire un ennemi mortel du ministre de