Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et puis, peut-être le Génois était-il comme ces gens d’esprit qui ne savent jamais que ce qu’ils doivent savoir, et qui ne croient que ce qu’ils ont intérêt à croire.

Ce fut donc dans cette situation réciproque que l’on arriva à Livourne.

Edmond devait tenter là une nouvelle épreuve : c’était de savoir s’il se reconnaîtrait lui-même, depuis quatorze ans qu’il ne s’était vu ; il avait conservé une idée assez précise de ce qu’était le jeune homme, il allait voir ce qu’il était devenu homme. Aux yeux de ses camarades, son vœu était accompli : vingt fois déjà il avait relâché à Livourne, il connaissait un barbier rue Saint-Ferdinand, il entra chez lui pour se faire couper la barbe et les cheveux.

Le barbier regarda avec étonnement cet homme à la longue chevelure et à la barbe épaisse et noire, qui ressemblait à une de ces belles têtes du Titien. Ce n’était point encore la mode à cette époque-là que l’on portât la barbe et les cheveux si développés : aujourd’hui un barbier s’étonnerait seulement qu’un homme doué de si grands avantages physiques consentît volontairement à s’en priver.

Le barbier livournais se mit à la besogne sans observation.

Lorsque l’opération fut terminée, lorsque Edmond sentit son menton entièrement rasé, lorsque ses cheveux furent réduits à la longueur ordinaire, il demanda un miroir et se regarda.

Il avait alors trente-trois ans, comme nous l’avons dit, et ces quatorze ans de prison avaient pour ainsi dire apporté un grand changement moral dans sa figure.

Dantès était entré au château d’If avec ce visage rond, riant et épanoui du jeune homme heureux, à qui les