Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/142

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de canon retentit : c’est l’air qui brise le pont. Alors le bâtiment s’agite comme un noyé qui se débat, s’alourdissant à chaque mouvement. Bientôt l’eau, trop pressée dans les cavités, s’élance des ouvertures, pareille aux colonnes liquides que jetterait par ses évents quelque cachalot gigantesque. Enfin, il pousse un dernier râle, fait un dernier tour sur lui-même, et s’engouffre en creusant dans l’abîme un vaste entonnoir qui tournoie un instant, se comble peu à peu et finit par s’effacer tout à fait ; si bien qu’au bout de cinq minutes il faut l’œil de Dieu lui-même pour aller chercher au fond de cette mer calme le bâtiment disparu.

— Comprenez-vous maintenant, ajouta le patron en souriant, comment le bâtiment ne rentre pas dans le port, et pourquoi l’équipage ne porte pas plainte ?

Si Gaetano eût raconté la chose avant de proposer l’expédition, il est probable que Franz eût regardé à deux fois avant de l’entreprendre ; mais ils étaient partis, et il lui sembla qu’il y aurait lâcheté à reculer. C’était un de ces hommes qui ne courent pas à une occasion périlleuse, mais qui, si cette occasion vient au-devant d’eux, restent d’un sang-froid inaltérable pour la combattre : c’était un de ces hommes à la volonté calme, qui ne regardent un danger dans la vie que comme un adversaire dans un duel, qui calculent ses mouvements, qui étudient sa force, qui rompent assez pour reprendre haleine, pas assez pour paraître lâches, qui, comprenant d’un seul regard tous leurs avantages, tuent, d’un seul coup.

— Bah ! reprit-il, j’ai traversé la Sicile et Calabre, j’ai navigué deux mois dans l’Archipel, et je n’ai jamais vu l’ombre d’un bandit ni d’un forban.

— Aussi n’ai-je pas dit cela à Son Excellence, fit