Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/78

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n’a plus d’espérance que dans ce même Pharaon que commandait le pauvre Dantès, et qui doit revenir des Indes avec un chargement de cochenille et d’indigo. Si ce navire-là manque comme les autres, il est perdu.

— Et, dit l’abbé, a-t-il une femme, des enfants ? le malheureux ?

— Oui ; il a une femme qui, dans tout cela, se conduit comme une sainte ; il a une fille qui allait épouser un homme qu’elle aimait, et à qui sa famille ne veut plus laisser épouser une fille ruinée ; il a un fils enfin, lieutenant dans l’armée ; mais, vous le comprenez bien, tout cela double sa douleur au lieu de l’adoucir, à ce pauvre cher homme. S’il était seul, il se brûlerait la cervelle et tout serait dit.

— C’est affreux ! murmura le prêtre.

— Voilà comme Dieu récompense la vertu, Monsieur, dit Caderousse. Tenez, moi qui n’ai jamais fait une mauvaise action à part ce que je vous ai raconté, moi, je suis dans la misère ; moi, après avoir vu mourir ma pauvre femme de la fièvre, sans pouvoir rien faire pour elle, je mourrai de faim comme est mort le père Dantès, tandis que Fernand et Danglars roulent sur l’or.

— Et comment cela ?

— Parce que tout leur a tourné à bien, tandis qu’aux honnêtes gens tout tourne à mal.

— Qu’est devenu Danglars ? le plus coupable, n’est-ce pas, l’instigateur ?

— Ce qu’il est devenu ? il a quitté Marseille ; il est entré, sur la recommandation de M. Morrel, qui ignorait son crime, comme commis d’ordre chez un banquier espagnol ; à l’époque de la guerre d’Espagne il s’est chargé d’une part dans les fournitures de l’armée française et a fait fortune ; alors, avec ce premier argent il a joué sur