Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/129

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d’une longue table, sur un de ces bancs de bois qui, dans les auberges de village, remplacent les chaises ; il me tournait le dos, de sorte que je ne pouvais voir sa physionomie ; d’ailleurs eût-il été dans la position contraire, la chose m’eût encore été impossible, attendu qu’il tenait sa tête ensevelie dans ses deux mains.

La Carconte le regarda quelque temps, haussa les épaules et vint s’asseoir en face de lui.

En ce moment la flamme mourante gagna un reste de bois sec oublié par elle ; une lueur un peu plus vive éclaira le sombre intérieur. La Carconte tenait ses yeux fixés sur son mari, et comme celui-ci restait toujours dans la même position, je la vis étendre vers lui sa main crochue, et elle le toucha au front.

Caderousse tressaillit. Il me sembla que la femme remuait les lèvres, mais, soit qu’elle parlât tout à fait bas, soit que mes sens fussent déjà engourdis par le sommeil, le bruit de sa parole n’arriva point jusqu’à moi. Je ne voyais même plus qu’à travers un brouillard et avec ce doute précurseur du sommeil pendant lequel on croit que l’on commence un rêve. Enfin mes yeux se fermèrent, et je perdis conscience de moi-même.

J’étais au plus profond de mon sommeil, lorsque je fus réveillé par un coup de pistolet, suivi d’un cri terrible. Quelques pas chancelants retentirent sur le plancher de la chambre, et une masse inerte vint s’abattre dans l’escalier, juste au-dessus de ma tête.

Je n’étais pas encore bien maître de moi. J’entendais des gémissements, puis des cris étouffés comme ceux qui accompagnent une lutte.

Un dernier cri, plus prolongé que les autres et qui dégénéra en gémissements, vint me tirer complètement de ma léthargie.