Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/178

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Si maître de lui que fût Monte-Cristo, il examina avec une visible curiosité, en lui rendant son salut, le magistrat qui, défiant par habitude et peu crédule surtout quant aux merveilles sociales, était plus disposé à voir dans le noble étranger, c’était ainsi qu’on appelait déjà Monte-Cristo, un chevalier d’industrie venant exploiter un nouveau théâtre, ou un malfaiteur en état de rupture de ban, qu’un prince du Saint-Siège ou un sultan des Mille et une Nuits.

— Monsieur, dit Villefort avec ce ton glapissant affecté par les magistrats dans leurs périodes oratoires, et dont ils ne peuvent ou ne veulent pas se défaire dans la conversation, monsieur, le service signalé que vous avez rendu hier à ma femme et à mon fils me fait un devoir de vous remercier. Je viens donc m’acquitter de ce devoir et vous exprimer toute ma reconnaissance.

Et, en prononçant ces paroles, l’œil sévère du magistrat n’avait rien perdu de son arrogance habituelle. Ces paroles qu’il venait de dire, il les avait articulées avec sa voix de procureur général, avec cette raideur inflexible de cou et d’épaules qui faisait, comme nous le répétons, dire à ses flatteurs qu’il était la statue vivante de la loi.

— Monsieur, répliqua le comte à son tour avec une froideur glaciale, je suis fort heureux d’avoir pu conserver un fils à sa mère, car on dit que le sentiment de la maternité est le plus saint de tous, et ce bonheur qui m’arrive vous dispensait, monsieur, de remplir un devoir dont l’exécution m’honore sans doute, car je sais que M. de Villefort ne prodigue pas la faveur qu’il me fait, mais qui, si précieuse qu’elle soit cependant, ne vaut pas pour moi la satisfaction intérieure.

Villefort, étonné de cette sortie à laquelle il ne s’attendait