Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/182

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c’est-à-dire au point de vue le plus restreint et le plus étroit qu’il ait été permis à l’intelligence humaine d’embrasser.

— Expliquez-vous, monsieur, dit Villefort de plus en plus étonné, je ne vous comprends pas… très bien.

— Je dis, monsieur, que, les yeux fixés sur l’organisation sociale des nations, vous ne voyez que les ressorts de la machine, et non l’ouvrier sublime qui la fait agir ; je dis que vous ne reconnaissez devant vous et autour de vous que les titulaires des places dont les brevets ont été signés par des ministres ou par un roi, et que les hommes que Dieu a mis au-dessus des titulaires, des ministres et des rois, en leur donnant une mission à poursuivre au lieu d’une place à remplir, je dis que ceux-là échappent à votre courte vue. C’est le propre de la faiblesse humaine aux organes débiles et incomplets. Tobie prenait l’ange qui venait lui rendre la vue pour un jeune homme ordinaire. Les nations prenaient Attila, qui devait les anéantir, pour un conquérant comme tous les conquérants et il a fallu que tous révélassent leurs missions célestes pour qu’on les reconnût ; il a fallu que l’un dît : « Je suis l’ange du Seigneur ; » et l’autre : « Je suis le marteau de Dieu, » pour que l’essence divine de tous deux fût révélée.

— Alors, dit Villefort de plus en plus étonné et croyant parler à un illuminé ou à un fou, vous vous regardez comme un de ces êtres extraordinaires que vous venez de citer ?

— Pourquoi pas ? dit froidement Monte-Cristo.

— Pardon, monsieur, reprit Villefort abasourdi, mais vous m’excuserez si, en me présentant chez vous, j’ignorais me présenter chez un homme dont les connaissances et dont l’esprit dépassent de si loin les connaissances