Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/187

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monsieur. Oui, je vous le dis, si vous êtes réellement fort, réellement supérieur, réellement saint ou impénétrable, ce qui, vous avez raison, revient à peu près au même, soyez superbe, monsieur ; c’est la loi des dominations. Mais vous avez bien cependant une ambition quelconque ?

— J’en ai une, monsieur.

— Laquelle ?

— Moi aussi, comme cela est arrivé à tout homme une fois dans sa vie, j’ai été enlevé par Satan sur la plus haute montagne de la terre ; arrivé là, il me montra le monde tout entier, et, comme il avait dit autrefois au Christ, il me dit à moi : « Voyons, enfant des hommes, pour m’adorer que veux-tu ? » Alors j’ai réfléchi longtemps, car depuis longtemps une terrible ambition dévorait effectivement mon cœur ; puis je lui répondis : « Écoute, j’ai toujours entendu parler de la Providence, et cependant je ne l’ai jamais vue, ni rien qui lui ressemble, ce qui me fait croire qu’elle n’existe pas ; je veux être la Providence, car ce que je sais de plus beau, de plus grand et de plus sublime au monde, c’est de récompenser et de punir. » Mais Satan baissa la tête et poussa un soupir. « Tu te trompes, dit-il, la Providence existe ; seulement tu ne la vois pas, parce que, fille de Dieu, elle est invisible comme son père. Tu n’as rien vu qui lui ressemble, parce qu’elle procède par des ressorts cachés et marche par des voies obscures ; tout ce que je puis faire pour toi, c’est de te rendre un des agents de cette Providence. » Le marché fut fait ; j’y perdrai peut-être mon âme mais n’importe, reprit Monte-Cristo, et le marché serait à refaire que je le ferais encore.

Villefort regardait Monte-Cristo avec un sublime étonnement.