Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/19

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— Parce que vous avez la plaque de Charles III et que vous vouliez m’annoncer cette bonne nouvelle ?

— Non ; parce que j’ai passé la nuit à expédier des lettres : vingt-cinq dépêches diplomatiques. Rentré chez moi ce matin au jour, j’ai voulu dormir ; mais le mal de tête m’a pris, et je me suis relevé pour monter à cheval une heure. À Boulogne, l’ennui et la faim m’ont saisi, deux ennemis qui vont rarement ensemble, et qui cependant se sont ligués contre moi ; une espèce d’alliance carlo-républicaine ; je me suis alors souvenu que l’on festinait chez vous ce matin, et me voilà : j’ai faim, nourrissez-moi ; je m’ennuie, amusez-moi.

— C’est mon devoir d’amphitryon, cher ami, dit Albert en sonnant le valet de chambre ; tandis que Lucien faisait sauter, avec le bout de sa badine à pomme d’or incrustée de turquoise, les journaux dépliés. Germain, un verre de xérès et un biscuit. En attendant, mon cher Lucien, voici des cigares de contrebande, bien entendu ; je vous engage à en goûter et à inviter votre ministre à nous en vendre de pareils, au lieu de ces espèces de feuilles de noyer qu’il condamne les bons citoyens à fumer.

— Peste ! je m’en garderais bien. Du moment où ils vous viendraient du gouvernement vous n’en voudriez plus et les trouveriez exécrables. D’ailleurs, cela ne regarde point l’intérieur, cela regarde les finances : adressez-vous à M. Humann, section des contributions indirectes, corridor A, no 26.

— En vérité, dit Albert, vous m’étonnez par l’étendue de vos connaissances. Mais prenez donc un cigare !

— Ah ! cher vicomte, dit Lucien en allumant un manille à une bougie rose brûlant dans un bougeoir de vermeil et en se renversant sur le divan, ah ! cher vicomte,