Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/190

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— Cela serait sans doute, si Dieu ne m’avait point donné une large compensation. En face du vieillard qui descend en se traînant vers la tombe sont deux enfants qui entrent dans la vie : Valentine, une fille de mon premier mariage avec mademoiselle de Saint-Méran, et Édouard, ce fils à qui vous avez sauvé la vie.

— Et que concluez-vous de cette compensation, monsieur ? demanda Monte-Cristo.

— Je conclus, monsieur, répondit Villefort, que mon père, égaré par les passions, a commis quelques unes de ces fautes qui échappent à la justice humaine, mais qui relèvent de la justice de Dieu, et que Dieu, ne voulant punir qu’une seule personne, n’a frappé que lui seul.

Monte-Cristo, le sourire sur les lèvres, poussa au fond du cœur un rugissement qui eût fait fuir Villefort, si Villefort eût pu l’entendre.

— Adieu, monsieur, reprit le magistrat, qui depuis quelque temps déjà s’était levé et parlait debout ; je vous quitte, emportant de vous un souvenir d’estime qui, je l’espère, pourra vous être agréable lorsque vous me connaîtrez mieux, car je ne suis point un homme banal, tant s’en faut. Vous vous êtes fait d’ailleurs dans madame de Villefort une amie éternelle.

Le comte salua et se contenta de reconduire jusqu’à la porte de son cabinet seulement Villefort, lequel regagna sa voiture précédé de deux laquais qui, sur un signe de leur maître, s’empressaient de la lui ouvrir.

Puis, quand le procureur du roi eut disparu :

— Allons, dit Monte-Cristo en tirant avec effort un sourire de sa poitrine oppressée ; allons, assez de poison comme cela, et maintenant que mon cœur en est plein, allons chercher l’antidote.