Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/66

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lorsqu’on a gagné ses épaulettes sur le champ de bataille, on ne sait guère manœuvrer sur le terrain glissant des salons ; j’ai quitté l’épée, je me suis jeté dans la politique, je me voue à l’industrie, j’étudie les arts utiles. Pendant les vingt années que j’étais resté au service, j’en avais bien eu le désir, mais je n’en avais pas eu le temps.

— Ce sont de pareilles idées qui entretiennent la supériorité de votre nation sur les autres pays, monsieur, répondit Monte-Cristo ; gentilhomme issu de grande maison, possédant une belle fortune, vous avez d’abord consenti à gagner les premiers grades en soldat obscur, c’est fort rare ; puis, devenu général, pair de France, commandeur de la Légion d’honneur, vous consentez à recommencer un second apprentissage, sans autre espoir, sans autre récompense que celle d’être un jour utile à vos semblables… Ah ! monsieur, voilà qui est vraiment beau ; je dirai plus, voilà qui est sublime.

Albert regardait et écoutait Monte-Cristo avec étonnement ; il n’était pas habitué à le voir s’élever à de pareilles idées d’enthousiasme.

— Hélas ! continua l’étranger, sans doute pour faire disparaître l’imperceptible nuage que ces paroles venaient de faire passer sur le front de Morcerf, nous ne faisons pas ainsi en Italie, nous croissons selon notre race et notre espèce, et nous gardons même feuillage, même taille, et souvent même inutilité toute notre vie.

— Mais, monsieur, répondit le comte de Morcerf, pour un homme de votre mérite, l’Italie n’est pas une patrie, et la France ne sera peut-être pas ingrate pour tout le monde ; elle traite mal ses enfants, mais d’habitude elle accueille grandement les étrangers.

— Eh ! mon père, dit Albert avec un sourire, on voit