Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/119

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capitaux, qui sont au financier ce que la peau est à l’homme civilisé. Nous avons nos habits plus ou moins somptueux, c’est notre crédit ; mais quand l’homme meurt il n’a que sa peau, de même qu’en sortant des affaires, vous n’avez que votre bien réel, cinq ou six millions tout au plus ; car les fortunes de troisième ordre ne représentent guère que le tiers ou le quart de leur apparence, comme la locomotive d’un chemin de fer n’est toujours, au milieu de la fumée qui l’enveloppe et qui la grossit, qu’une machine plus ou moins forte. Eh bien ! sur ces cinq millions qui forment votre actif réel, vous venez d’en perdre à peu près deux, qui diminuent d’autant votre fortune fictive ou votre crédit ; c’est-à-dire, mon cher monsieur Danglars, que votre peau vient d’être ouverte par une saignée qui, réitérée quatre fois, entraînerait la mort. Eh, eh ! faites attention, mon cher monsieur Danglars. Avez-vous besoin d’argent ? Voulez-vous que je vous en prête ?

— Que vous êtes un mauvais calculateur ! s’écria Danglars en appelant à son aide toute la philosophie et toute la dissimulation de l’apparence : à l’heure qu’il est, l’argent est rentré dans mes coffres par d’autres spéculations qui ont réussi. Le sang sorti par la saignée est rentré par la nutrition. J’ai perdu une bataille en Espagne, j’ai été battu à Trieste ; mais mon armée navale de l’Inde aura pris quelques galions ; mes pionniers du Mexique auront découvert quelque mine.

— Fort bien, fort bien ! mais la cicatrice reste, et à la première perte elle se rouvrira.

— Non, car je marche sur des certitudes, poursuivit Danglars avec la faconde banale du charlatan, dont l’état est de prôner son crédit ; il faudrait, pour me renverser, que trois gouvernements croulassent.