Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/195

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mort est un suicide, et cependant il importe pour l’honneur de ma mémoire… (ce n’est point de la vanité, n’est-ce pas, mon Dieu ! mais bien un juste orgueil, voilà tout) ; il importe pour l’honneur de ma mémoire que le monde sache que j’ai consenti moi-même, par ma volonté, de mon libre arbitre, à arrêter mon bras déjà levé pour frapper, et que de ce bras, si puissamment armé contre les autres, je me suis frappé moi-même : il le faut, je le ferai.

Et saisissant une plume, il tira un papier de l’armoire secrète de son bureau, et traça au bas de ce papier, qui n’était autre chose que son testament fait depuis son arrivée à Paris, une espèce de codicille dans lequel il faisait comprendre sa mort aux gens les moins clairvoyants.

— Je fais cela, mon Dieu ! dit-il, les yeux levés au ciel, autant pour votre honneur que pour le mien. Je me suis considéré, depuis dix ans, ô mon Dieu ! comme l’envoyé de votre vengeance, et il ne faut pas que d’autres misérables que ce Morcerf, il ne faut pas qu’un Danglars, un Villefort, il ne faut pas enfin que ce Morcerf lui-même se figurent que le hasard les a débarrassés de leur ennemi. Qu’ils sachent, au contraire, que la Providence, qui avait déjà décrété leur punition, a été corrigée par la seule puissance de ma volonté ; que le châtiment évité dans ce monde les attend dans l’autre, et qu’ils n’ont échangé le temps que contre l’éternité.

Tandis qu’il flottait entre ces sombres incertitudes, mauvais rêve de l’homme éveillé par la douleur, le jour vint blanchir les vitres et éclairer sous ses mains le pâle papier azur sur lequel il venait de tracer cette suprême justification de la Providence.

Il était cinq heures du matin.