Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/48

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Cette fois l’illusion ou plutôt la réalité dépassait tout ce que Valentine avait éprouvé jusque-là ; elle commença à se croire bien éveillée et bien vivante ; elle eut la conscience qu’elle jouissait de toute sa raison, et elle frémit.

La pression que Valentine avait ressentie avait pour but de lui arrêter le bras.

Valentine le retira lentement à elle.

Alors cette figure, dont le regard ne pouvait se détacher, et qui d’ailleurs paraissait plutôt protectrice que menaçante, cette figure prit le verre, s’approcha de la veilleuse et regarda le breuvage, comme si elle eût voulu en juger la transparence et la limpidité.

Mais cette première épreuve ne suffit pas.

Cet homme, ou plutôt ce fantôme, car il marchait si doucement que le tapis étouffait le bruit de ses pas, cet homme puisa dans le verre une cuillerée du breuvage et l’avala. Valentine regardait ce qui se passait devant ses yeux avec un profond sentiment de stupeur.

Elle croyait bien que tout cela était près de disparaître pour faire place à un autre tableau ; mais l’homme, au lieu de s’évanouir comme une ombre, se rapprocha d’elle, et tendant le verre à Valentine, et d’une voix pleine d’émotion :

— Maintenant, dit-il, buvez.

Valentine tressaillit.

C’était la première fois qu’une de ses visions lui parlait avec ce timbre vivant.

Elle ouvrit la bouche pour pousser un cri.

L’homme posa un doigt sur ses lèvres.

— M. le comte de Monte-Cristo ! murmura-t-elle.

À l’effroi qui se peignit dans les yeux de la jeune fille, au tremblement de ses mains, au geste rapide qu’elle fit pour se blottir sous ses draps, on pouvait reconnaître la