Page:Dumas - Le Maître d’armes, 1894.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
LE MAITRE D’ARMES.

Moscou, 1814 à Saint-Pétersbourg ; la guerre de Russie est une guerre de trois ans.

C’était le bon génie de Napoléon qui parlait ainsi en ce moment, mais le démon de la guerre ne devait pas tarder à reprendre son empire ; au bout de quinze jours, tous ces grands projets étaient évanouis ; et, comme un athlète fatigué qui a repris haleine, quinze jours après il continuait sa course. Le 18 août, Smolensk tombait en notre pouvoir ; le 16 septembre, Moscou était en flammes,, et le 13 décembre, Napoléon fugitif repassait nuitamment le Niémen, seul et poursuivi par le spectre de la grande armée.

Pèlerin pieux de notre gloire comme de nos revers depuis Vilna, j’avais suivi à cheval la même route que Napoléon avait faite douze ans auparavant, recueillant toutes les traditions que les bons Lithuaniens avaient conservées de son passage. J’aurais bien encore voulu voir Smolensk et Moscou, cette nouvelle Pultawa ; mais cette route me forçait à faire deux cents lieues de plus, et cela m’était impossible. Après être resté un jour à Vitepsk, et avoir visité le château où avait séjourné quinze jours Napoléon, je fis venir des chevaux et une de ces petites voitures dont se servent les courriers russes, et qu’on appelle des pérékladnoï, parce qu’on en change à chaque poste. J’y jetai mon porte-manteau, et j’eus bientôt laissé derrière moi Vitepsk, emporté par mes trois chevaux, dont l’un, celui du milieu, trottait la tête haute, tandis que ceux de droite et de gauche galopaient, hennissant et la tête basse, comme s’ils eussent voulu dévorer la terre.

Au reste, je ne faisais que quitter un souvenir pour un autre. Cette fois, je suivais la route que Catherine avait prise dans son voyage en Tauride.


II

En sortant de Vitepsk, je trouvai la douane russe ; mais attendu que je n’avais qu’un porte-manteau, malgré la bonne intention visible qu’avait le chef de poste de faire traîner la visite en longueur, elle ne dura que deux heures vingt mi-