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LE MAITRE D’ARMES.

avouons-le, simple grisette du quartier Latin, et adressée à sa sœur, simple marchande de modes ; mais ce n’est pas ma faute si les événements mêlent toutes les classes, et si la marée des révolutions met de nos jours le peuple si souvent en face de la royauté.

Cette lettre portait pour suscription :

À mademoiselle Louise Dupuy, chez madame Xavier, marchande de modes, perspective de Niuski, près de l’église arménienne, en face du bazar.

Le tout écrit de cette écriture et avec cette orthographe que vous savez.

Je ne m’en faisais pas moins une fête de remettre cette lettre moi-même. À huit cents lieues de la France, il est toujours agréable de voir une jeune et jolie compatriote, et je savais que Louise était jeune et jolie. D’ailleurs, elle qui connaissait Saint-Pétersbourg, puisqu’elle l’habitait depuis quatre ans, me donnerait des conseils sur la manière de m’y conduire.

Cependant, comme je ne pouvais convenablement me présenter chez elle à sept heures du matin, je résolus de faire mon tour de ville, et de ne revenir à la perspective de Niuski que vers les cinq heures.

J’appelai le garçon ; cette fois ce fut un valet de place qui s’offrit en son lieu. Les valets de place sont en même temps des domestiques et des ciceroni ; ils cirent les bottes et montrent les palais. Je l’arrêtai, surtout pour la première de ces fonctions ; quant à la seconde, j’avais d’avance étudié mon Saint-Pétersbourg de manière à en savoir autant que lui là-dessus.


III

Je n’avais pas pris la peine de m’inquiéter d’une voiture comme j’avais fait la veille d’une barque ; car, si peu que je fusse sorti encore dans les rues de Saint-Pétersbourg, j’avais vu à chaque carrefour des stations de kibiscks et de