Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/117

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— En quoi, monsieur Parry ? demanda le jeune homme avec une sorte de froideur tempérée par le désir d’être agréable à la princesse.

— Eh bien ! Sa Majesté prie Votre Grâce de présenter Monsieur à lady Henriette Stuart.

— Monsieur qui, d’abord ? demanda le duc avec hauteur.

D’Artagnan, on le sait, était facile à effaroucher ; le ton de milord Buckingham lui déplut. Il regarda le courtisan à la hauteur des yeux, et deux éclairs brillèrent sous ses sourcils froncés. Puis, faisant un effort sur lui-même :

— Monsieur le chevalier d’Artagnan, milord, répondit-il tranquillement.

— Pardon, Monsieur, mais ce nom m’apprend votre nom, voilà tout.

— C’est-à-dire ?…

— C’est-à-dire que je ne vous connais pas.

— Je suis plus heureux que vous, Monsieur, répondit d’Artagnan, car, moi, j’ai eu l’honneur de connaître beaucoup votre famille et particulièrement milord duc de Buckingham, votre illustre père.

— Mon père ? fit Buckingham. En effet, Monsieur, il me semble maintenant me rappeler… Monsieur le chevalier d’Artagnan, dites-vous ?

D’Artagnan s’inclina.

— En personne, dit-il.

— Pardon ; n’êtes-vous point l’un de ces Français qui eurent avec mon père certains rapports secrets ?

— Précisément, monsieur le duc, je suis un de ces Français-là.

— Alors, Monsieur, permettez-moi de vous dire qu’il est étrange que mon père, de son vivant, n’ait jamais entendu parler de vous.

— Non, Monsieur, mais il en a entendu parler au moment de sa mort ; c’est moi qui lui ai fait passer, par le valet de chambre de la reine Anne d’Autriche, l’avis du danger qu’il courait ; malheureusement l’avis est arrivé trop tard.

— N’importe ! Monsieur, dit Buckingham, je comprends maintenant qu’ayant eu l’intention de rendre un service au père, vous veniez réclamer la protection du fils.

— D’abord, milord, répondit flegmatiquement d’Artagnan, je ne réclame la protection de personne. Sa Majesté le roi Charles II, à qui j’ai eu l’honneur de rendre quelques services (il faut vous dire, Monsieur, que ma vie s’est passée à cette occupation), le roi Charles II, donc, qui veut bien m’honorer de quelque bienveillance, a désiré que je fusse présenté à lady Henriette, sa sœur, à laquelle j’aurai peut-être aussi le bonheur d’être utile dans l’avenir. Or, le roi vous savait en ce moment auprès de Son Altesse, et m’a adressé à vous, par l’entremise de Parry. Il n’y a pas d’autre mystère. Je ne vous demande absolument rien, et si vous ne voulez pas me présenter à Son Altesse, j’aurai la douleur de me passer de vous et la hardiesse de me présenter moi-même.

— Au moins, Monsieur, répliqua Buckingham, qui tenait à avoir le dernier mot, vous ne reculerez pas devant une explication provoquée par vous.

— Je ne recule jamais, Monsieur, dit d’Artagnan.

— Vous devez savoir alors, puisque vous avez eu des rapports secrets avec mon père, quelque détail particulier ?

— Ces rapports sont déjà loin de nous, Monsieur, car vous n’étiez pas encore né, et pour quelques malheureux ferrets de diamant que j’ai reçus de ses mains et rapportés en France, ce n’est vraiment pas la peine de réveiller tant de souvenirs.

— Ah ! Monsieur, dit vivement Buckingham en s’approchant de d’Artagnan et en lui tendant la main, c’est donc vous ! vous que mon père a tant cherché et qui pouviez tant attendre de nous !

— Attendre, Monsieur ! en vérité, c’est là mon fort, et toute ma vie j’ai attendu.

Pendant ce temps, la princesse, lasse de ne pas voir venir à elle l’étranger, s’était levée et s’était approchée.

— Au moins, Monsieur, dit Buckingham, n’attendrez-vous point cette présentation que vous réclamez de moi.

Alors, se retournant et s’inclinant devant lady Henriette :

— Madame, dit le jeune homme, le roi votre frère désire que j’aie l’honneur de présenter à Votre Altesse M. le chevalier d’Artagnan.

— Pour que Votre Altesse ait au besoin un appui solide et un ami sûr, ajouta Parry.

D’Artagnan s’inclina.

— Vous avez encore quelque chose à dire, Parry ? répondit lady Henriette souriant à d’Artagnan, tout en adressant la parole au vieux serviteur.

— Oui, Madame, le roi désire que Votre Altesse garde religieusement dans sa mémoire le nom et se souvienne du mérite de M. d’Artagnan, à qui Sa Majesté doit, dit-elle, d’avoir recouvré son royaume.

Buckingham, la princesse et Rochester se regardèrent étonnés.

— Cela, dit d’Artagnan, est un autre petit secret dont, selon toute probabilité, je ne me vanterai pas au fils de Sa Majesté le roi Charles II, comme j’ai fait à vous à l’endroit des ferrets de diamant.

— Madame, dit Buckingham, Monsieur vient, pour la seconde fois, de rappeler à ma mémoire un événements qui excite tellement ma curiosité, que j’oserai vous demander la permission de l’écarter un instant de vous, pour l’entretenir en particulier.

— Faites, milord, dit la princesse, mais rendez bien vite à la sœur cet ami si dévoué au frère.

Et elle reprit le bras de Rochester, pendant que Buckingham prenait celui de d’Artagnan.

— Oh ! racontez-moi donc, chevalier, dit Buckingham, toute cette affaire des diamants, que nul ne sait en Angleterre, pas même le fils de celui qui en fut le héros.

— Milord, une seule personne avait le droit de raconter toute cette affaire, comme vous dites, c’était votre père ; il a jugé à propos de se taire, je vous demanderai la permission de l’imiter.

Et d’Artagnan s’inclina en homme sur lequel il est évident qu’aucune instance n’aura de prise.

— Puisqu’il en est ainsi, Monsieur, dit Buckingham, pardonnez-moi mon indiscrétion, je vous