Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/143

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à la main, en attendant que le roi l’interrogeât.

— Qu’est-ce que cela ? demanda le roi.

— Un message de M. de Mazarin, répondit l’huissier.

— Donnez, dit le roi.

Et il prit le papier. Mais, au moment où il l’allait ouvrir, il se fit à la fois un grand bruit dans la galerie, dans les antichambres et dans la cour.

— Ah ! ah ! dit Louis XIV, qui sans doute reconnut ce triple bruit, que disais-je donc qu’il n’y avait qu’un roi en France ! je me trompais, il y en a deux.

En ce moment, la porte s’ouvrit, et le surintendant des finances Fouquet apparut à Louis XIV. C’était lui qui faisait ce bruit dans la galerie ; c’étaient ses laquais qui faisaient ce bruit dans les antichambres ; c’étaient ses chevaux qui faisaient ce bruit dans la cour. En outre, on entendait un long murmure sur son passage qui ne s’éteignait que longtemps après qu’il avait passé. C’était ce murmure que Louis XIV regrettait si fort de ne point entendre alors sous ses pas et mourir derrière lui.

— Celui-là n’est pas précisément un roi comme vous le croyez, dit Anne d’Autriche à son fils ; c’est un homme trop riche, voilà tout.

Et en disant ces mots, un sentiment amer donnait aux paroles de la reine leur expression la plus haineuse ; tandis que le front de Louis, au contraire, resté calme et maître de lui, était pur de la plus légère ride.

Il salua donc librement Fouquet de la tête, tandis qu’il continuait de déplier le rouleau que venait de lui remettre l’huissier. Fouquet vit ce mouvement, et, avec une politesse à la fois aisée et respectueuse, il s’approcha d’Anne d’Autriche pour laisser toute liberté au roi.

Louis avait ouvert le papier, et cependant il ne lisait pas.

Il écoutait Fouquet faire à sa mère des compliments adorablement tournés sur sa main et sur ses bras.

La figure d’Anne d’Autriche se dérida et passa presque au sourire.

Fouquet s’aperçut que le roi, au lieu de lire, le regardait et l’écoutait ; il fit un demi-tour, et, tout en continuant pour ainsi dire d’appartenir à Anne d’Autriche, il se retourna en face du roi.

— Vous savez, monsieur Fouquet, dit Louis XIV, que Son Éminence est fort mal ?

— Oui, sire, je sais cela, dit Fouquet ; et en effet elle est fort mal. J’étais à ma campagne de Vaux lorsque la nouvelle m’en est venue, si pressante que j’ai tout quitté.

— Vous avez quitté Vaux ce soir, Monsieur ?

— Il y a une heure et demie, oui, Votre Majesté, dit Fouquet, consultant une montre toute garnie de diamants.

— Une heure et demie ! dit le roi, assez puissant pour maîtriser sa colère, mais non pour cacher son étonnement.

— Je comprends, sire. Votre Majesté doute de ma parole, et elle a raison ; mais, si je suis venu ainsi, c’est vraiment par merveille. On m’avait envoyé d’Angleterre trois couples de chevaux fort vifs, m’assurait-on ; ils étaient disposés de quatre lieues en quatre lieues, et je les ai essayés ce soir. Ils sont venus en effet de Vaux au Louvre en une heure et demie, et Votre Majesté voit qu’on ne m’avait pas trompé.

La reine mère sourit avec une secrète envie.

Fouquet alla au-devant de cette mauvaise pensée.

— Aussi, Madame, se hâta-t-il d’ajouter, de pareils chevaux sont faits, non pour des sujets, mais pour des rois, car les rois ne doivent jamais le céder à qui que ce soit en quoi que ce soit.

Le roi leva la tête.

— Cependant, interrompit Anne d’Autriche, vous n’êtes point roi, que je sache, monsieur Fouquet ?

— Aussi, Madame, les chevaux n’attendent-ils qu’un signe de Sa Majesté pour entrer dans les écuries du Louvre ; et si je me suis permis de les essayer, c’était dans la seule crainte d’offrir au roi quelque chose qui ne fût pas précisément une merveille.

Le roi était devenu fort rouge.

— Vous savez, monsieur Fouquet, dit la reine, que l’usage n’est point à la cour de France qu’un sujet offre quelque chose à son roi ?

Louis fit un mouvement.

— J’espérais, Madame, dit Fouquet fort agité, que mon amour pour Sa Majesté, mon désir incessant de lui plaire, serviraient de contrepoids à cette raison d’étiquette. Ce n’était point d’ailleurs un présent que je me permettais d’offrir, c’était un tribut que je payais.

— Merci, monsieur Fouquet, dit poliment le roi, et je vous sais gré de l’intention, car j’aime en effet les bons chevaux ; mais vous savez que je suis bien peu riche ; vous le savez mieux que personne, vous, mon surintendant des finances. Je ne puis donc, lors même que je le voudrais, acheter un attelage si cher.

Fouquet lança un regard plein de fierté à la reine mère qui semblait triompher de la fausse position du ministre, et répondit :

— Le luxe est la vertu des rois, sire ; c’est le luxe qui les fait ressembler à Dieu ; c’est par le luxe qu’ils sont plus que les autres hommes. Avec le luxe un roi nourrit ses sujets et les honore. Sous la douce chaleur de ce luxe des rois naît le luxe des particuliers, source de richesses pour le peuple. Sa Majesté, en acceptant le don de six chevaux incomparables, eût piqué d’amour-propre les éleveurs de notre pays, du Limousin, du Perche, de la Normandie ; cette émulation eût été profitable à tous… Mais le roi se tait, et par conséquent je suis condamné.

Pendant ce temps, Louis XIV, par contenance, pliait et dépliait le papier de Mazarin, sur lequel il n’avait pas encore jeté les yeux. Sa vue s’y arrêta enfin, et il poussa un petit cri dès la première ligne.

— Qu’y a-t-il donc, mon fils ? demanda Anne d’Autriche en se rapprochant vivement du roi.

— De la part du cardinal ? reprit le roi en continuant sa lecture. Oui, oui, c’est bien de sa part.

— Est-il donc plus mal ?

— Lisez, acheva le roi en passant le parchemin à sa mère, comme s’il eût pensé qu’il ne fallait pas moins que la lecture pour convaincre Anne