Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/19

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suite de ce soupir, qui avait tant révélé de douleurs dans son éloquente expansion.

— Non, Mademoiselle, répliqua Raoul, je n’ai pas encore rendu visite à mon père ; mais j’allais à sa maison, quand mademoiselle de Montalais a bien voulu m’arrêter ; j’espère que M. le comte se porte bien. Vous n’avez rien ouï dire de fâcheux, n’est-ce pas ?

— Rien, monsieur Raoul, rien, Dieu merci !

Ici s’établit un silence pendant lequel deux âmes qui suivaient la même idée s’entendirent parfaitement, même sans l’assistance d’un seul regard.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria tout à coup Montalais, on monte !…

— Qui cela peut-il être ? dit Louise en se levant tout inquiète.

— Mesdemoiselles, je vous gêne beaucoup ; j’ai été bien indiscret sans doute, balbutia Raoul, fort mal à son aise.

— C’est un pas lourd, dit Louise.

— Ah ! si ce n’est que M. Malicorne, répliqua Montalais, ne nous dérangeons pas.

Louise et Raoul se regardèrent pour se demander ce que c’était que M. Malicorne.

— Ne vous inquiétez pas, poursuivit Montalais, il n’est pas jaloux.

— Mais, mademoiselle… dit Raoul.

— Je comprends… Eh bien ! il est aussi discret que moi.

— Mon Dieu ! s’écria Louise, qui avait appuyé son oreille sur la porte entrebâillée, je reconnais les pas de ma mère !

— Madame de Saint-Remy ! Où me cacher ? Où me cacher ? dit Raoul, en sollicitant vivement la robe de Montalais, qui semblait un peu avoir perdu la tête.

— Oui, dit celle-ci, oui, je reconnais aussi les patins qui claquent. C’est notre excellente mère !… Monsieur le vicomte, c’est bien dommage que la fenêtre donne sur un pavé, et cela à cinquante pieds de haut.

Raoul regarda le balcon d’un air égaré, Louise saisit son bras et le retint.

— Ah çà ! suis-je folle ? dit Montalais, n’ai-je pas l’armoire aux robes de cérémonie ? Elle a vraiment l’air d’être faite pour cela.

Il était temps, madame de Saint-Remy montait plus vite qu’à l’ordinaire ; elle arriva sur le palier au moment où Montalais, comme dans les scènes de surprises, fermait l’armoire en appuyant son corps sur la porte.

— Ah ! s’écria madame de Saint-Remy, vous êtes ici, Louise ?

— Oui, Madame, répondit-elle, plus pâle que si elle eût été convaincue d’un grand crime.

— Bon ! bon !

— Asseyez-vous, Madame, dit Montalais en offrant un fauteuil à madame de Saint-Remy, et en le plaçant de façon à ce qu’elle tournât le dos à l’armoire.

— Merci, mademoiselle Aure, merci ; venez vite, ma fille, allons.

— Où voulez-vous donc que j’aille, Madame ?

— Mais, au logis ; ne faut-il pas préparer votre toilette ?

— Plaît-il ? fit Montalais, se hâtant de jouer la surprise, tant elle craignait de voir Louise faire quelque sottise.

— Vous ne savez donc pas la nouvelle ? dit madame de Saint-Remy.

— Quelle nouvelle, Madame, voulez-vous que deux filles apprennent en ce colombier ?

— Quoi !… vous n’avez vu personne ?…

— Madame, vous parlez par énigmes et vous nous faites mourir à petit feu ! s’écria Montalais, qui, effrayée de voir Louise de plus en plus pâle, ne savait à quel saint se vouer.

Enfin elle surprit de sa compagne un regard parlant, un de ces regards qui donneraient de l’intelligence à un mur. Louise indiquait à son amie le chapeau, le malencontreux chapeau de Raoul qui se pavanait sur la table.

Montalais se jeta au-devant, et, le saisissant de sa main gauche, le passa derrière elle dans la droite, et le cacha ainsi tout en parlant.

— Eh bien ! dit madame de Saint-Remy, un courrier nous arrive qui annonce la prochaine arrivée du roi. Çà, Mesdemoiselles, il s’agit d’être belles !

— Vite ! vite ! s’écria Montalais, suivez madame votre mère, Louise, et me laissez ajuster ma robe de cérémonie.

Louise se leva, sa mère la prit par la main et l’entraîna sur le palier.

— Venez, dit-elle.

Et tout bas :

— Quand je vous défends de venir chez Montalais, pourquoi y venez-vous ?

— Madame, c’est mon amie. D’ailleurs, j’arrivais.

— On n’a fait cacher personne devant vous ?

— Madame !

— J’ai vu un chapeau d’homme, vous dis-je ; celui de ce drôle, de ce vaurien !

— Madame ! s’écria Louise.

— De ce fainéant de Malicorne ! Une fille d’honneur fréquenter ainsi… fi !

Et les voix se perdirent dans les profondeurs du petit escalier.

Montalais n’avait pas perdu un mot de ces propos que l’écho lui renvoyait comme par un entonnoir.

Elle haussa les épaules, et, voyant Raoul qui, sorti de sa cachette, avait écouté aussi :

— Pauvre Montalais ! dit-elle, victime de l’amitié !… Pauvre Malicorne !… victime de l’amour !

Elle s’arrêta sur la mine tragi-comique de Raoul, qui s’en voulut d’avoir en un jour surpris tant de secrets.

— Oh ! Mademoiselle, dit-il, comment reconnaître vos bontés ?

— Nous ferons quelque jour nos comptes, répliqua-t-elle ; pour le moment, gagnez au pied, monsieur de Bragelonne, car madame de Saint-Remy n’est pas indulgente, et quelque indiscrétion de sa part pourrait amener ici une visite domiciliaire fâcheuse pour nous tous. Adieu !

— Mais Louise… comment savoir ?…

— Allez ! allez ! le roi Louis XI savait bien ce qu’il faisait lorsqu’il inventa la poste.

— Hélas ! dit Raoul.

— Et ne suis-je pas là, moi, qui vaux toutes