Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, vous ; voyons, quittez cette logique de procureur, mon cher.

— Encore une chose impossible. Clerc je suis, mademoiselle de Montalais.

— Demoiselle je suis, monsieur Malicorne.

— Hélas ! je le sais bien, et vous m’accablez par la distance ; aussi, je ne vous dirai rien.

— Mais non, je ne vous accable pas ; dites ce que vous avez à me dire, dites, je le veux !

— Eh bien ! je vous obéis.

— C’est bien heureux, vraiment !

— Monsieur est mort.

— Ah ! peste, voilà du nouveau ! Et d’où arrivez-vous pour nous dire cela ?

— J’arrive d’Orléans, Mademoiselle.

— Et c’est la seule nouvelle que vous apportez ?

— Oh ! non pas… J’arrive aussi pour vous dire que Madame Henriette d’Angleterre arrive pour épouser le frère de Sa Majesté.

— En vérité, Malicorne, vous êtes insupportable avec vos nouvelles du siècle passé ; voyons, si vous prenez aussi cette mauvaise habitude de vous moquer, je vous ferai jeter dehors.

— Oh !

— Oui, car vraiment vous m’exaspérez.

Là ! là ! patience, Mademoiselle.

— Vous vous faites valoir ainsi. Je sais bien pourquoi, allez…

— Dites, et je vous répondrai franchement oui, si la chose est vraie.

— Vous savez que j’ai envie de cette commission de dame d’honneur que j’ai eu la sottise de vous demander, et vous ménagez votre crédit.

— Moi ?

Malicorne abaissa ses paupières, joignit les mains et prit son air sournois.

— Et quel crédit un pauvre clerc de procureur saurait-il avoir, je vous le demande ?

— Votre père n’a pas pour rien vingt mille livres de rente, monsieur Malicorne.

— Fortune de province, mademoiselle de Montalais.

— Votre père n’est pas pour rien dans les secrets de M. le Prince.

— Avantage qui se borne à prêter de l’argent à monseigneur.

— En un mot, vous n’êtes pas pour rien le plus rusé compère de la province.

— Vous me flattez.

— Moi ?

— Oui, vous.

— Comment cela ?

— Puisque c’est moi qui vous soutiens que je n’ai point de crédit, et vous qui me soutenez que j’en ai.

— Enfin, ma commission ?

— Eh bien, votre commission ?

— L’aurai-je ou ne l’aurai-je pas ?

— Vous l’aurez.

— Mais quand ?

— Quand vous voudrez.

— Où est-elle, alors ?

— Dans ma poche.

— Comment ! dans votre poche ?

— Oui.

Et, en effet, avec son sourire narquois, Malicorne tira de sa poche une lettre dont la Montalais s’empara comme d’une proie et qu’elle lut avec avidité.

À mesure qu’elle lisait, son visage s’éclairait.

— Malicorne ! s’écria-t-elle après avoir lu, en vérité vous êtes un bon garçon.

— Pourquoi cela, Mademoiselle ?

— Parce que vous auriez pu vous faire payer cette commission et que vous ne l’avez pas fait.

Et elle éclata de rire, croyant décontenancer le clerc. Mais Malicorne soutint bravement l’attaque.

— Je ne vous comprends pas, dit-il.

Ce fut Montalais qui fut décontenancée à son tour.

— Je vous ai déclaré mes sentiments, continua Malicorne ; vous m’avez dit trois fois en riant que vous ne m’aimiez pas ; vous m’avez embrassé une fois sans rire, c’est tout ce qu’il me faut.

— Tout ? dit la fière et coquette Montalais d’un ton où perçait l’orgueil blessé.

— Absolument tout, Mademoiselle, répliqua Malicorne.

— Ah !

Ce monosyllabe indiquait autant de colère que le jeune homme eût pu attendre de reconnaissance.

Il secoua tranquillement la tête.

— Écoutez, Montalais, dit-il sans s’inquiéter si cette familiarité plaisait ou non à sa maîtresse, ne discutons point là-dessus.

— Pourquoi cela ?

— Parce que, depuis un an que je vous connais, vous m’eussiez mis à la porte vingt fois si je ne vous plaisais pas.

— En vérité ! À quel propos vous eussé-je mis à la porte ?

— Parce que j’ai été assez impertinent pour cela.

— Oh ! cela, c’est vrai.

— Vous voyez bien que vous êtes forcée de l’avouer, fit Malicorne.

— Monsieur Malicorne !

— Ne nous fâchons pas ; donc, si vous m’avez conservé, ce n’est pas sans cause.

— Ce n’est pas au moins parce que je vous aime ! s’écria Montalais.

— D’accord. Je vous dirai même qu’en ce moment je suis certain que vous m’exécrez.

— Oh ! vous n’avez jamais dit si vrai.

— Bien ! Moi, je vous déteste.

— Ah ! je prends acte.

— Prenez. Vous me trouvez brutal et sot ; je vous trouve, moi, la voix dure et le visage décomposé par la colère. En ce moment, vous vous jetteriez par cette fenêtre plutôt que de me laisser baiser le bout de votre doigt ; moi, je me précipiterais du haut du clocheton plutôt que de toucher le bas de votre robe. Mais dans cinq minutes vous m’aimerez, et moi, je vous adorerai. Oh ! c’est comme cela.

— J’en doute.

— Et moi, j’en jure.

— Fat !

— Et puis ce n’est point la véritable raison ; vous avez besoin de moi, Aure, et moi, j’ai besoin de vous. Quand il vous plaît d’être gaie, je