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mières, de tumulte et de brillantes images.

— Il est roi, lui ! murmura-t-il avec un accent de désespoir et d’angoisses qui dut monter jusqu’au pied du trône de Dieu.

Puis, avant qu’il fût revenu de sa sombre rêverie, tout ce bruit, toute cette splendeur s’évanouirent. À l’angle de la rue il ne resta plus au-dessous de l’étranger que des voix discordantes et enrouées qui criaient encore par intervalles : Vive le roi !

Il resta aussi les six chandelles que tenaient les habitants de l’Hôtellerie des Médicis, savoir : deux chandelles pour Cropole, une pour Pittrino, une pour chaque marmiton.

Cropole ne cessait de répéter :

— Qu’il est bien, le roi, et qu’il ressemble à feu son illustre père !

— En beau, disait Pittrino.

— Et qu’il a une fière mine ! ajoutait madame Cropole déjà en promiscuité de commentaires avec les voisins et les voisines.

Cropole alimentait ces propos de ses observations personnelles, sans remarquer qu’un vieillard à pied, mais traînant un petit cheval irlandais par la bride, essayait de fendre le groupe de femmes et d’hommes qui stationnait devant les Médicis.

Mais en ce moment la voix de l’étranger se fit entendre à la fenêtre.

— Faites donc en sorte, Monsieur l’hôtelier, qu’on puisse arriver jusqu’à votre maison.

Cropole se retourna, vit alors seulement le vieillard, et lui fit faire passage.

La fenêtre se ferma.

Pittrino indiqua le chemin au nouveau venu, qui entra sans proférer une parole.

L’étranger l’attendait sur le palier, il ouvrit ses bras au vieillard et le conduisit à un siége, mais celui-ci résista.

— Oh ! non pas, non pas, milord, dit-il. M’asseoir devant vous ! jamais !

— Parry, s’écria le gentilhomme, je vous en supplie… vous qui venez d’Angleterre… de si loin ! Ah ! ce n’est pas à votre âge qu’on devrait subir des fatigues pareilles à celles de mon service. Reposez-vous…

— J’ai ma réponse à vous donner avant tout, milord.

— Parry… je t’en conjure, ne me dis rien… car si la nouvelle eût été bonne, tu ne commencerais pas ainsi ta phrase. Tu prends un détour, c’est que la nouvelle est mauvaise.

— Milord, dit le vieillard, ne vous hâtez pas de vous alarmer. Tout n’est pas perdu, je l’espère. C’est de la volonté, de la persévérance qu’il faut, c’est surtout de la résignation.

— Parry, répondit le jeune homme, je suis venu ici seul, à travers mille piéges et mille périls : crois-tu à ma volonté ? J’ai médité ce voyage dix ans, malgré tous les conseils et tous les obstacles : crois-tu à ma persévérance ? J’ai vendu ce soir le dernier diamant de mon père, car je n’avais plus de quoi payer mon gîte, et l’hôte m’allait chasser.

Parry fit un geste d’indignation auquel le jeune homme répondit par une pression de main et un sourire.

— J’ai encore deux cent soixante-quatorze pistoles, et je me trouve riche ; je ne désespère pas, Parry : crois-tu à ma résignation ?

Le vieillard leva au ciel ses mains tremblantes.

— Voyons, dit l’étranger, ne me déguise rien : qu’est-il arrivé ?

— Mon récit sera court, milord ; mais au nom du ciel ne tremblez pas ainsi !

— C’est d’impatience, Parry. Voyons, que t’a dit le général ?

— D’abord, le général n’a pas voulu me recevoir.

— Il te prenait pour quelque espion.

— Oui, milord ; mais je lui ai écrit une lettre.

— Eh bien ?

— Il l’a reçue, il l’a lue, milord.

— Cette lettre expliquait bien ma position, mes vœux ?

— Oh ! oui, dit Parry avec un triste sourire… elle peignait fidèlement votre pensée.

— Alors, Parry ?…

— Alors le général m’a renvoyé la lettre par un aide de camp, en me faisant annoncer que le lendemain, si je me trouvais encore dans la circonscription de son commandement, il me ferait arrêter.

— Arrêter ! murmura le jeune homme ; arrêter ! toi, mon plus fidèle serviteur !

— Oui, milord.

— Et tu avais signé Parry, cependant ?

— En toutes lettres, milord ; et l’aide de camp m’a connu à Saint-James, et, ajouta le vieillard avec un soupir, à White-Hall !

Le jeune homme s’inclina, rêveur et sombre.

— Voilà ce qu’il fait devant ses gens, dit-il en essayant de se donner le change… mais sous main… de lui à toi… qu’a-t-il fait ? Réponds.

— Hélas ! milord, il m’a envoyé quatre cavaliers qui m’ont donné le cheval sur lequel vous m’avez vu revenir. Ces cavaliers m’ont conduit toujours courant jusqu’au petit port de Tendy, m’ont jeté plutôt qu’embarqué sur un bateau de pêche qui faisait voile vers la Bretagne, et me voici.

— Oh ! soupira le jeune homme en serrant convulsivement de sa main nerveuse sa gorge, où montait un sanglot… Parry, c’est tout, c’est bien tout ?

— Oui, milord, c’est tout !

Il y eut après cette brève réponse de Parry un long intervalle de silence ; on n’entendait que le bruit du talon de ce jeune homme tourmentant le parquet avec furie.

Le vieillard voulut tenter de changer la conversation ; elle conduisait à des pensées trop sinistres.

— Milord, dit-il, quel est donc tout ce bruit qui me précédait ? Quels sont ces gens qui crient : Vive le roi !… De quel roi est-il question, et pourquoi toutes ces lumières ?

— Ah ! Parry, tu ne sais pas, dit ironiquement le jeune homme, c’est le roi de France qui visite sa bonne ville de Blois ; toutes ces trompettes sont à lui, toutes ces housses dorées sont à lui, tous ces gentilshommes qui ont des épées sont à lui. Sa mère le précède dans un carrosse ma-