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― À celle que j’avais déjà soumise à Votre Majesté.

— Quand cela ?

— Le jour où nous nous expliquâmes à propos des jalousies de Monsieur.

— Que me disiez-vous donc ce jour-là ? demanda Louis, inquiet.

— Vous ne vous en souvenez plus, sire ?

— Hélas ! si c’est un malheur encore, je m’en souviendrai toujours assez tôt.

— Oh ! ce n’est un malheur que pour moi, sire, répondit madame Henriette ; mais c’est un malheur nécessaire.

— Mon Dieu !

— Et je le subirai.

— Enfin, dites, quel est ce malheur ?

— L’absence !

— Oh ! encore cette méchante résolution ?

— Sire, croyez que je ne l’ai point prise sans lutter violemment contre moi-même… Sire, il me faut, croyez-moi, retourner en Angleterre.

— Oh ! jamais, jamais, je ne permettrai que vous quittiez la France ! s’écria le roi.

— Et cependant, dit Madame en affectant une douce et triste fermeté, cependant, sire, rien n’est plus urgent ; et, il y a plus, je suis persuadée que telle est la volonté de votre mère.

— La volonté ! s’écria le roi. Oh ! oh ! chère sœur, vous avez dit là un singulier mot devant moi.

— Mais, répondit en souriant Madame Henriette, n’êtes-vous pas heureux de subir les volontés d’une bonne mère ?

— Assez, je vous en conjure ; vous me déchirez le cœur.

— Moi ?

— Sans doute, vous parlez de ce départ avec une tranquillité…

— Je ne suis pas née pour être heureuse, sire, répondit mélancoliquement la princesse, et j’ai pris, toute jeune, l’habitude de voir mes plus chères pensées contrariées.

— Dites-vous vrai ? Et votre départ contrarierait-il une pensée qui vous soit chère ?

— Si je vous répondais oui, n’est-il pas vrai, sire, que vous prendriez déjà votre mal en patience ?

— Cruelle !

— Prenez garde, sire, on se rapproche de nous.

Le roi regarda autour de lui.

— Non, dit-il.

Puis, revenant à Madame :

— Voyons, Henriette, au lieu de chercher à combattre la jalousie de Monsieur par un départ qui me tuerait…

Henriette haussa légèrement les épaules, en femme qui doute.

— Oui, qui me tuerait, répondit Louis. Voyons, au lieu de vous arrêter à ce départ, est-ce que votre imagination… ou plutôt est-ce que votre cœur ne vous suggérerait rien ?

— Et que voulez-vous que mon cœur me suggère, mon Dieu ?

— Mais enfin, dites, comment prouve-t-on à quelqu’un qu’il a tort d’être jaloux ?

— D’abord, sire, en ne lui donnant aucun motif de jalousie, c’est-à-dire en n’aimant que lui.

— Oh ! j’attendais mieux.

— Qu’attendiez-vous ?

— Que vous répondiez tout simplement qu’on tranquillise les jaloux en dissimulant l’affection que l’on porte à l’objet de leur jalousie.

— Dissimuler est difficile, sire.

— C’est pourtant par les difficultés vaincues qu’on arrive à tout bonheur. Quant à moi, je vous jure que je démentirai mes jaloux, s’il le faut, en affectant de vous traiter comme toutes les autres femmes.

— Mauvais moyen, faible moyen, dit la jeune femme en secouant sa charmante tête.

— Vous trouvez tout mauvais, chère Henriette, dit Louis mécontent. Vous détruisez tout ce que je propose. Mettez donc au moins quelque chose à la place. Voyons, cherchez. Je me fie beaucoup aux inventions des femmes. Inventez à votre tour.

— Eh bien,je trouve ceci. Écoutez-vous, sire ?

— Vous me le demandez ! Vous parlez de ma vie ou de ma mort, et vous me demandez si j’écoute !

— Eh bien, j’en juge par moi-même. S’il s’agissait de me donner le change sur les intentions de mon mari à l’égard d’une autre femme, une chose me rassurerait par-dessus tout.

— Laquelle ?

— Ce serait de voir, d’abord, qu’il ne s’occupe pas de cette femme.

— Eh bien, voilà précisément ce que je vous disais tout à l’heure.

— Soit. Mais je voudrais, pour être pleinement rassurée, le voir encore s’occuper d’une autre.

— Ah ! je vous comprends, répondit Louis en souriant. Mais, dites-moi, chère Henriette…

— Quoi ?

— Si le moyen est ingénieux, il n’est guère charitable.

— Pourquoi ?

— En guérissant l’appréhension de la blessure dans l’esprit du jaloux, vous lui en faites une au cœur. Il n’a plus la peur, c’est vrai ; mais il a le mal, ce qui me semble bien pis.

— D’accord ; mais au moins il ne surprend pas, il ne soupçonne pas l’ennemi réel, il ne nuit pas à l’amour ; il concentre toutes ses forces du côté où ses forces ne feront tort à rien ni à personne. En un mot, sire, mon système, que je m’étonne de vous voir combattre, je l’avoue, fait du mal aux jaloux, c’est vrai, mais fait du bien aux amants. Or, je vous le demande, sire, excepté vous peut-être, qui a jamais songé à plaindre les jaloux ? Ne sont-ce pas des bêtes mélancoliques, toujours aussi malheureuses sans sujet qu’avec sujet ; ôtez le sujet, vous ne détruirez pas leur affliction. Cette maladie gît dans l’imagination, et, comme toutes les maladies imaginaires, elle est incurable. Tenez, il me souvient à ce propos, très-cher sire, d’un aphorisme de mon pauvre médecin Dawley, savant et spirituel docteur, que, sans mon frère, qui ne peut se passer de lui, j’aurais maintenant près de moi : « Lorsque vous souffrirez de deux affections, me disait-il, choisissez celle qui vous gêne le moins, je vous laisserai celle-là ; car, par Dieu ! disait-il, celle-là