Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/358

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pas été ce que je suis, j’eusse moins détesté celui-là que les autres. »

— Alors, s’écria La Vallière en joignant les mains, voilà ce que vous promettez à M. de Montespan ?

— Eh ! certes, à lui comme à tout autre. Quoi ! je vous ai dit que je lui reconnaissais une certaine supériorité, et cela ne suffirait pas ! Ma chère, on est femme, c’est-à-dire reine dans tout le temps que nous donne la nature pour occuper cette royauté, de quinze à trente-cinq ans. Libre à vous d’avoir du cœur après, quand vous n’aurez plus que cela.

— Oh ! oh ! murmura La Vallière.

— Parfait ! s’écria Montalais, voilà une maîtresse femme. Athénaïs, vous irez loin !

— Ne m’approuvez-vous point ?

— Oh ! des pieds et des mains ! dit la railleuse.

— Vous plaisantez, n’est-ce pas, Montalais ? dit Louise.

— Non, non, j’approuve tout ce que vient de dire Athénaïs ; seulement…

— Seulement quoi ?

— Eh bien, je ne puis le mettre en action. J’ai les plus complets principes ; je me fais des résolutions, près desquelles les projets du stathouder et ceux du roi d’Espagne sont des jeux d’enfant ; puis, le jour de la mise à exécution, rien.

— Vous faiblissez ? dit Athénaïs avec dédain.

— Indignement.

— Malheureuse nature, reprit Athénaïs. Mais, au moins, vous choisissez ?

— Ma foi !… ma foi, non ! Le sort se plaît à me contrarier en tout : je rêve des empereurs et je trouve des…

— Aure ! Aure ! s’écria La Vallière, par pitié, ne sacrifiez pas, au plaisir de dire un mot, ceux qui vous aiment d’une affection si dévouée.

— Oh ! pour cela, je m’en embarrasse peu : ceux qui m’aiment sont assez heureux que je ne les chasse point, ma chère. Tant pis pour moi si j’ai une faiblesse ; mais tant pis pour eux si je m’en venge sur eux. Ma foi, je m’en venge !

— Aure !

— Vous avez raison, dit Athénaïs, et peut-être aussi arriverez-vous au même but. Cela s’appelle être coquette, voyez-vous, Mesdemoiselles. Les hommes, qui sont des sots en beaucoup de choses, le sont surtout en celle-ci, qu’ils confondent sous ce mot de coquetterie la fierté d’une femme et sa variabilité. Moi, je suis fière, c’est-à-dire imprenable, je rudoie les prétendants, mais sans aucune espèce de prétention à les retenir. Les hommes disent que je suis coquette, parce qu’ils ont l’amour-propre de croire que je les désire. D’autres femmes, Montalais, par exemple, se sont laissé entamer par les adulations ; elles seraient perdues sans le bienheureux ressort de l’instinct qui les pousse à changer soudain et à châtier celui dont elles acceptaient naguère l’hommage.

— Savante dissertation ! dit Montalais d’un ton de gourmet qui se délecte.

— Odieux ! murmura Louise.

— Grâce à cette coquetterie, car voilà la véritable coquetterie, poursuivit mademoiselle de Tonnay-Charente, l’amant, bouffi d’orgueil il y a une heure, maigrit en une minute de toute l’enflure de son amour-propre. Il prenait déjà des airs vainqueurs, il recule ; il allait nous protéger, il se prosterne de nouveau. Il en résulte qu’au lieu d’avoir un mari jaloux, incommode, habitué, nous avons un amant toujours tremblant, toujours convoiteux, toujours soumis, par cette seule raison qu’il trouve, lui, une maîtresse toujours nouvelle. Voilà, et soyez-en persuadées, Mesdemoiselles, ce que vaut la coquetterie. C’est avec cela qu’on est reine entre les femmes, quand on n’a pas reçu de Dieu la faculté si précieuse de tenir en bride son cœur et son esprit.

— Oh ! que vous êtes habile, dit Montalais, et que vous comprenez bien le devoir des femmes !

— Je m’arrange un bonheur particulier, dit Athénaïs avec modestie ; je me défends, comme tous les amoureux faibles, contre l’oppression des plus forts.

— La Vallière ne dit pas un mot.

— Est-ce qu’elle ne nous approuve point ?

— Moi, je ne comprends seulement pas, dit Louise. Vous parlez comme des êtres qui ne seraient point appelés à vivre sur cette terre.

— Elle est jolie, votre terre ! dit Montalais.

— Une terre, reprit Athénaïs, où l’homme encense la femme pour la faire tomber étourdie, où il l’insulte quand elle est tombée !

— Qui vous parle de tomber ? dit Louise.

— Ah ! voilà une théorie nouvelle, ma chère ; indiquez-moi, s’il vous plaît, votre moyen pour ne pas être vaincue, si vous vous laissez entraîner par l’amour ?

— Oh ! s’écria la jeune fille en levant au ciel noir ses beaux yeux humides, oh ! si vous saviez ce que c’est qu’un cœur, je vous expliquerais et je vous convaincrais ; un cœur aimant est plus fort que toute votre coquetterie et plus que toute votre fierté. Jamais une femme n’est aimée, je le crois, et Dieu m’entend ; jamais un homme n’aime avec idolâtrie que s’il se sent aimé. Laissez aux vieillards de la comédie de se croire adorés par des coquettes. Le jeune homme s’y connaît, lui, il ne s’abuse point ; s’il a pour la coquette un désir, une effervescence, une rage, vous voyez que je vous fais le champ libre et vaste ; en un mot, la coquette peut le rendre fou, jamais elle ne le rendra amoureux. L’amour, voyez-vous, tel que je le conçois, c’est un sacrifice incessant, absolu, entier ; mais ce n’est pas le sacrifice d’une seule des deux parties unies. C’est l’abnégation complète de deux âmes qui veulent se fondre en une seule. Si j’aime jamais, je supplierai mon amant de me laisser libre et pure, je lui dirai, ce qu’il comprendra, que mon âme est déchirée par le refus que je lui fais ; et lui ! lui qui m’aimera, sentant la douloureuse grandeur de mon sacrifice, à son tour il se dévouera comme moi, il me respectera, il ne cherchera point à me faire tomber pour m’insulter quand je serai tombée, ainsi que vous le disiez tout à l’heure en blasphémant contre l’amour que je comprends. Voilà, moi, comment j’aime. Maintenant, venez me dire que mon amant me méprisera ; je l’en défie, à moins qu’il ne soit le plus vil des hommes, et mon cœur m’est garant que je ne choisirai pas ces gens-là. Mon regard lui paiera ses sacrifices ou lui imposera des vertus qu’il n’eût jamais cru avoir.