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Comme je regardais ce moine malade, on l’entre dans l’auberge. Comme on lui faisait monter l’escalier, je le suis, et, comme j’arrive au haut de l’escalier, je m’aperçois qu’on le fait entrer dans ma chambre.

— Dans votre chambre ?

— Oui, dans ma propre chambre. Je crois que c’est une erreur, j’interpelle l’hôte : l’hôte me déclare que la chambre louée par moi depuis huit jours était louée à ce franciscain pour le neuvième.

— Oh ! oh !

— C’est justement ce que je fis : Oh ! oh ! Je fis même plus encore, je voulus me fâcher. Je remontai. Je m’adressai au franciscain lui-même. Je voulus lui remontrer l’inconvenance de son procédé ; mais ce moine, tout moribond qu’il paraissait être, se souleva sur son coude, fixa sur moi deux yeux flamboyants, et, d’une voix qui eût avantageusement commandé une charge de cavalerie : « Jetez-moi ce drôle à la porte, » dit-il. Ce qui fut à l’instant même exécuté par l’hôte et par les quatre porteurs, qui me firent descendre l’escalier un peu plus vite qu’il n’était convenable. Voilà comment il se fait, ma mie, que je n’ai plus de gîte.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce franciscain ? demanda Montalais. C’est donc un général ?

— Justement ; il me semble que c’est là le titre qu’un des porteurs lui a donné en lui parlant à demi-voix.

— De sorte que ?… dit Montalais.

— De sorte que je n’ai plus de chambre, plus d’auberge, plus de gîte, et que je suis aussi décidé que l’était tout à l’heure mon ami Manicamp à ne pas coucher dehors.

— Comment faire ? s’écria Montalais.

— Voilà ! dit Malicorne.

— Mais rien de plus simple, dit une troisième voix.

Montalais et Malicorne poussèrent un cri simultané.

De Saint-Aignan parut.

— Cher monsieur Malicorne, dit de Saint-Aignan, un heureux hasard me ramène ici pour vous tirer d’embarras… Venez, je vous offre une chambre chez moi, et celle-là, je vous le jure, nul franciscain ne vous l’ôtera. Quant à vous, ma chère demoiselle, rassurez-vous : j’ai déjà le secret de mademoiselle de La Vallière, celui de mademoielle de Tonnay-Charente ; vous venez d’avoir la bonté de me confier le vôtre, merci : j’en garderai aussi bien trois qu’un seul.

Malicorne et Montalais se regardèrent comme deux écoliers pris en maraude ; mais, comme au bout du compte Malicorne voyait un grand avantage dans la proposition qui lui était faite, il fit à Montalais un signe de résignation que celle-ci lui rendit.

Puis Malicorne descendit l’échelle échelon à échelon, réfléchissant à chaque degré au moyen d’arracher bribe par bribe à M. de Saint-Aignan tout ce qu’il pourrait savoir sur le fameux secret.

Montalais était déjà partie légère comme une biche, et ni carrefour ni labyrinthe n’eurent le pouvoir de la tromper.

Quant à de Saint-Aignan, il ramena en effet Malicorne chez lui, en lui faisant mille politesses, enchanté qu’il était de tenir sous sa main les deux hommes qui, en supposant que de Guiche restât muet, pouvaient le mieux renseigner sur le compte des filles d’honneur.

CXXV

CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ EN RÉALITÉ À L’AUBERGE DU BEAU-PAON.


D’abord, donnons à nos lecteurs quelques détails sur l’auberge du Beau-Paon ; puis nous passerons au signalement des voyageurs qui l’habitaient.

L’auberge du Beau-Paon, comme toute auberge, devait son nom à son enseigne.

Cette enseigne représentait un paon qui faisait la roue.

Seulement, à l’instar de quelques peintres qui ont donné la figure d’un joli garçon au serpent qui tente Ève, le peintre de l’enseigne avait donné au beau paon une figure de femme.

Cette auberge, épigramme vivante contre cette moitié du genre humain qui fait le charme de la vie, dit M. Legouvé, s’élevait à Fontainebleau dans la première rue latérale de gauche, laquelle coupait, en venant de Paris, cette grande artère qui forme à elle seule la ville tout entière de Fontainebleau.

La rue latérale s’appelait alors la rue de Lyon, sans doute parce que, géographiquement, elle s’avançait dans la direction de la seconde capitale du royaume.

Cette rue se composait de deux maisons habitées par des bourgeois, maisons séparées l’une de l’autre par deux grands jardins bordés de haies.

En apparence, il semblait y avoir cependant trois maisons dans la rue ; expliquons comment, malgré ce semblant, il n’y en avait que deux.

L’auberge du Beau-Paon avait sa façade principale sur la grande rue ; mais, en retour, sur la rue de Lyon, deux corps de bâtiments, divisés par des cours, renfermaient de grands logements propres à recevoir tous voyageurs, soit à pied, soit à cheval, soit même en carrosse, et à fournir non-seulement logis et table, mais encore promenade et solitude aux plus riches courtisans, lorsque, après un échec à la cour, ils désiraient se renfermer avec eux-mêmes pour dévorer l’affront ou méditer la vengeance.

Des fenêtres de ce corps de bâtiment en retour, les voyageurs apercevaient la rue d’abord, avec son herbe croissant entre les pavés, qu’elle disjoignait peu à peu.

Ensuite les belles haies de sureau et d’aubépine qui enfermaient, comme entre deux bras verts et fleuris, ces maisons bourgeoises dont nous avons parlé.

Puis, dans les intervalles de ces maisons, for-