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les papiers qu’une crise de fièvre l’avait forcé déjà de quitter une première fois.

— Le baron de Wostpur ? Bon ! dit-il : ambitieux, sot, étroit.

Il replia les papiers qu’il poussa sous son traversin.

Des pas rapides se faisaient entendre au bout du corridor.

Le confesseur rentra, suivi du baron de Wostpur, lequel marchait tête levée, comme s’il se fût agi de crever le plafond avec son plumet.

Aussi, à l’aspect de ce franciscain au regard sombre, et de cette simplicité dans la chambre :

— Qui m’appelle ? demanda l’Allemand.

— Moi ! fit le franciscain.

Puis, se tournant vers le confesseur :

— Bon père, lui dit-il, laissez-nous un instant seuls ; quand monsieur sortira, vous rentrerez.

Le jésuite sortit, et sans doute profita de cet exil momentané de la chambre de son moribond pour demander à l’hôte quelques explications sur cet étrange pénitent, qui traitait son confesseur comme on traite un valet de chambre.

Le baron s’approcha du lit et voulut parler, mais de la main le franciscain lui imposa silence.

— Les moments sont précieux, dit ce dernier à la hâte. Vous êtes venu ici pour le concours, n’est-ce pas ?

— Oui, mon père.

— Vous espérez être élu général ?

— Je l’espère.

— Vous savez à quelles conditions seulement on peut parvenir à ce haut grade, qui fait un homme le maître des rois, l’égal des papes ?

— Qui êtes-vous, demanda le baron, pour me faire subir cet interrogatoire ?

— Je suis celui que vous attendez.

— L’électeur général ?

— Je suis l’élu.

— Vous êtes… ?

Le franciscain ne lui donna point le temps d’achever ; il étendit sa main amaigrie : à sa main brillait l’anneau du généralat.

Le baron recula de surprise ; puis, tout aussitôt, s’inclinant avec un profond respect :

— Quoi ! s’écria-t-il, vous ici, Monseigneur ? vous dans cette pauvre chambre, vous sur ce misérable lit, vous cherchant et choisissant le général futur, c’est-à-dire votre successeur ?

— Ne vous inquiétez point de cela, Monsieur ; remplissez vite la condition principale, qui est de fournir à l’ordre un secret d’une importance telle, que l’une des plus grandes cours de l’Europe soit, par votre entremise, à jamais inféodée à l’ordre. Eh bien, avez-vous ce secret, comme vous avez promis de l’avoir dans votre demande adressée au grand conseil ?

— Monseigneur…

— Mais procédons par ordre… Vous êtes bien le baron de Wostpur ?

— Oui, Monseigneur.

— Cette lettre est bien de vous ?

Le général des jésuites tira un papier de sa liasse et le présenta au baron.

Le baron y jeta les yeux, et avec un signe affirmatif :

— Oui, Monseigneur, cette lettre est bien de moi, dit-il.

— Et vous pouvez me montrer la réponse faite par le secrétaire du grand conseil ?

— La voici, Monseigneur.

Le baron tendit au franciscain une lettre portant cette simple adresse :

« À Son Excellence le baron de Wostpur. »

Et contenant cette seule phrase :

« Du 15 au 22 mai, Fontainebleau, hôtel du Beau-Paon.


À M D G.[1]


— Bien ! dit le franciscain, nous voici en présence, parlez.

— J’ai un corps de troupes composé de cinquante mille hommes ; tous les officiers sont gagnés. Je campe sur le Danube. Je puis en quatre jours renverser l’empereur, opposé, comme vous savez, au progrès de notre ordre, et le remplacer par celui des princes de sa famille que l’ordre nous désignera.

Le franciscain écoutait sans donner signe d’existence.

— C’est tout ? dit-il.

— Il y a une révolution européenne dans mon plan, dit le baron.

— C’est bien, monsieur de Wostpur, vous recevrez la réponse ; rentrez chez vous, et soyez parti de Fontainebleau dans un quart d’heure.

Le baron sortit à reculons, et aussi obséquieux que s’il eût pris congé de cet empereur qu’il allait trahir.

— Ce n’est pas là un secret, murmura le franciscain, c’est un complot… D’ailleurs, ajouta-t-il après un moment de réflexion, l’avenir de l’Europe n’est plus aujourd’hui dans la maison d’Autriche.

Et, d’un crayon rouge qu’il tenait à la main, il raya sur la liste le nom du baron de Wostpur.

— Au cardinal, maintenant, dit-il ; du côté de l’Espagne, nous devons avoir quelque chose de plus sérieux.

Levant les yeux, il aperçut le confesseur qui attendait ses ordres, soumis comme un écolier.

— Ah ! ah ! dit-il, remarquant cette soumission, vous avez parlé à l’hôte ?

— Oui, Monseigneur, et au médecin.

— À Grisart ?

— Oui.

— Il est donc là ?

— Il attend, avec la potion promise.

— C’est bien ! si besoin est, j’appellerai ; maintenant, vous comprenez toute l’importance de ma confession, n’est-ce pas ?

— Oui, Monseigneur.

— Alors, allez me quérir le cardinal espagnol Herrebia. Hâtez-vous. Cette fois seulement, comme vous savez ce dont il s’agit, vous resterez près de moi, car j’éprouve des défaillances.

— Faut-il appeler le médecin ?

— Pas encore, pas encore… Le cardinal espagnol, voilà tout… Allez.

  1. Ad majorem Dei gloriam