Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/412

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ces sortes de choses sont celles qui tiennent le plus obstinément à la tête des maris. Ah ! pourquoi donc M. Molière n’a-t-il pas entendu celui-là, il l’aurait mis en vers.

Le prince et sa cour, ainsi devisant, rentrèrent dans les plus frais appartements du château.

— À propos, dit de Guiche sur le seuil de la porte, j’avais une commission pour Votre Altesse Royale.

— Fais ta commission.

— M. de Bragelonne est parti pour Londres avec un ordre du roi, et il m’a chargé de tous ses respects pour Monseigneur.

— Bien ! bon voyage au vicomte, que j’aime fort. Allons, va t’habiller, de Guiche, et reviens-nous. Et si tu ne reviens pas…

— Qu’arrivera-t-il, Monseigneur ?

— Il arrivera que je te fais jeter à la Bastille.

— Allons, décidément, dit de Guiche en riant, Son Altesse Royale Monsieur est la contre-partie de Son Altesse Royale Madame. Madame me fait exiler parce qu’elle ne m’aime pas assez, Monsieur me fait emprisonner parce qu’il m’aime trop. Merci, Monsieur ! Merci, Madame !

— Allons, allons, dit le prince, tu es un charmant ami, et tu sais bien que je ne puis me passer de toi. Reviens vite.

— Soit, mais il me plaît de faire de la coquetterie à mon tour, Monseigneur.

— Bah ?

— Aussi je ne rentre chez Votre Altesse qu’à une seule condition.

— Laquelle ?

— J’ai l’ami d’un de mes amis à obliger.

— Tu l’appelles ?

— Malicorne.

— Vilain nom !

— Très-bien porté, Monseigneur.

— Soit. Eh bien ?

— Eh bien, je dois à M. Malicorne une place chez vous, Monseigneur.

— Une place de quoi ?

— Une place quelconque ; une surveillance, par exemple.

— Parbleu ! cela se trouve bien, j’ai congédié hier le maître des appartements.

— Va pour le maître des appartements, Monseigneur. Qu’a-t-il à faire ?

— Rien, sinon à regarder et à rapporter.

— Police intérieure ?

— Justement.

— Oh ! comme cela va bien à Malicorne, se hasarda de dire Manicamp.

— Vous connaissez celui dont il s’agit, monsieur Manicamp ? demanda le prince.

— Intimement, Monseigneur. C’est mon ami.

— Et votre opinion est ?

— Que Monseigneur n’aura jamais un maître des appartements pareil à celui-là.

— Combien rapporte l’office ? demanda le comte au prince.

— Je l’ignore ; seulement, on m’a toujours dit qu’il ne pouvait assez se payer quand il était bien occupé.

— Qu’appelez-vous bien occupé, prince ?

— Cela va sans dire, quand le fonctionnaire est homme d’esprit.

— Alors, je crois que Monseigneur sera content, car Malicorne a de l’esprit comme un diable.

— Bon ! l’office me coûtera cher en ce cas, répliqua le prince en riant. Tu me fais là un véritable cadeau, comte.

— Je le crois, Monseigneur.

— Eh bien, va donc annoncer à ton M. Mélicorne…

— Malicorne, Monseigneur.

— Je ne me ferai jamais à ce nom-là.

— Vous dites bien Manicamp, Monseigneur.

— Oh ! je dirais très bien aussi Manicorne. L’habitude m’aiderait.

— Dites, dites, Monseigneur, je vous promets que votre inspecteur des appartements ne se fâchera point ; il est du plus heureux caractère qui se puisse voir.

— Eh bien, alors, mon cher de Guiche, annoncez-lui sa nomination… Mais, attendez…

— Quoi, Monseigneur ?

— Je veux le voir auparavant. S’il est aussi laid que son nom, je me dédis.

— Monseigneur le connaît.

— Moi ?

— Sans doute. Monseigneur l’a déjà vu au Palais-Royal ; à telles enseignes que c’est même moi qui le lui ai présenté.

— Ah ! fort bien, je me rappelle… Peste ! c’est un charmant garçon !

— Je savais bien que Monseigneur avait dû le remarquer.

— Oui, oui, oui ! Vois-tu, de Guiche, je ne veux pas que, ma femme ni moi, nous ayons des laideurs devant les yeux. Ma femme prendra pour demoiselles d’honneur toutes filles jolies ; je prendrai, moi, tous gentilshommes bien faits. De cette façon, vois-tu, de Guiche, si je fais des enfants, ils seront d’une bonne inspiration, et, si ma femme en fait, elle aura vu de beaux modèles.

— C’est puissamment raisonné, Monseigneur, dit Manicamp approuvant de l’œil et de la voix en même temps.

Quant à de Guiche, sans doute ne trouva-t-il pas le raisonnement aussi heureux, car il opina seulement du geste, et encore le geste garda-t-il un caractère marqué d’indécision. Manicamp s’en alla prévenir Malicorne de la bonne nouvelle qu’il venait d’apprendre.

De Guiche parut s’en aller à contre-cœur faire sa toilette de cour.

Monsieur, chantant, riant et se mirant, atteignit l’heure du dîner dans des dispositions qui eussent justifié ce proverbe : « Heureux comme un prince. »


CXXX

HISTOIRE D’UNE NAÏADE ET D’UNE DRYADE.


Tout le monde avait fait la collation au château, et, après la collation, toilette de cour.

La collation avait lieu d’habitude à cinq heures.