Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/439

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crainte irrésistible, qui émut le roi au dernier point. Et c’est pour moi, murmura-t-elle, que le roi reste ainsi à découvert et exposé à la pluie ; mais que suis-je donc ?

— Vous êtes, vous le voyez, dit le roi, la divinité qui fait fuir l’orage, la déesse qui ramène le beau temps.

En effet, un rayon de soleil, filtrant à travers la forêt, faisait tomber comme autant de diamants les gouttes d’eau qui roulaient sur les feuilles ou qui tombaient verticalement dans les interstices du feuillage.

— Sire, dit La Vallière presque vaincue, mais faisant un suprême effort, sire, une dernière fois, songez aux douleurs que Votre Majesté va avoir à subir à cause de moi. En ce moment, mon Dieu ! on vous cherche, on vous appelle. La reine doit être inquiète, et Madame, oh ! Madame !… s’écria la jeune fille avec un sentiment qui ressemblait à de l’effroi.

Ce nom fit un certain effet sur le roi ; il tressaillit et lâcha La Vallière, qu’il avait jusque-là tenue embrassée.

Puis il s’avança du côté du chemin pour regarder, et revint presque soucieux à La Vallière.

— Madame, avez-vous dit ? fit le roi.

— Oui, Madame ; Madame qui est jalouse aussi, dit la Vallière avec un accent profond.

Et ses yeux, si timides, si chastement fugitifs, osèrent un instant interroger les yeux du roi.

— Mais, reprit Louis en faisant un effort sur lui-même, Madame, ce me semble, n’a aucun sujet d’être jalouse de moi, Madame n’a aucun droit…

— Hélas ! murmura La Vallière.

— Oh ! Mademoiselle, dit le roi presque avec l’accent du reproche, seriez-vous de ceux qui pensent que la sœur a le droit d’être jalouse du frère ?

— Sire, il ne m’appartient point de percer les secrets de Votre Majesté.

— Oh ! vous le croyez comme les autres, s’écria le roi.

— Je crois que Madame est jalouse, oui, sire, répondit fermement La Vallière.

— Mon Dieu ! fit le roi avec inquiétude, vous en apercevriez-vous donc à ses façons envers vous ? Madame a-t-elle pour vous quelque mauvais procédé que vous puissiez attribuer à cette jalousie ?

— Nullement, sire ; je suis si peu de chose, moi !

— Oh ! c’est que s’il en était ainsi…, s’écria Louis avec une force singulière.

— Sire, interrompit la jeune fille, il ne pleut plus ; on vient, on vient, je crois.

Et oubliant toute étiquette, elle avait saisi le bras du roi.

— Eh bien, Mademoiselle, répliqua le roi, laissons venir. Qui donc oserait trouver mauvais que j’eusse tenu compagnie à mademoiselle de La Vallière ?

— Par pitié ! sire ; oh ! l’on trouvera étrange que vous soyez mouillé ainsi, que vous vous soyez sacrifié pour moi.

— Je n’ai fait que mon devoir de gentilhomme, dit Louis, et malheur à celui qui ne ferait pas le sien en critiquant la conduite de son roi !

En effet, en ce moment on voyait apparaître dans l’allée quelques têtes empressées et curieuses qui semblaient chercher, et qui, ayant aperçu le roi et La Vallière, parurent avoir trouvé ce qu’elles cherchaient.

C’étaient les envoyés de la reine et de Madame, qui mirent le chapeau à la main en signe qu’ils avaient vu Sa Majesté.

Mais Louis ne quitta point, quelle que fût la confusion de La Vallière, son attitude respectueuse et tendre.

Puis, quand tous les courtisans furent réunis dans l’allée quand tout le monde eut pu voir la marque de déférence qu’il avait donnée à la jeune fille en restant debout et tête nue devant elle pendant l’orage, il lui offrit le bras, la ramena vers le groupe qui attendait, répondit de la tête au salut que chacun lui faisait, et, son chapeau toujours à la main, il la reconduisit jusqu’à son carrosse.

Et, comme la pluie continuait de tomber encore, dernier adieu de l’orage qui s’enfuyait, les autres dames, que le respect avait empêché de monter en voiture avant le roi, recevaient sans cape et sans mantelet cette pluie dont le roi, avec son chapeau, garantissait, autant qu’il était en son pouvoir, la plus humble d’entre elles.

La reine et Madame durent, comme les autres, voir cette courtoisie exagérée du roi ; Madame en perdit contenance au point de pousser la reine du coude, en lui disant :

— Regardez, mais regardez donc !

La reine ferma les yeux comme si elle eût éprouvé un vertige. Elle porta la main à son visage et remonta en carrosse.

Madame monta après elle.

Le roi se remit à cheval, et, sans s’attacher de préférence à aucune portière, il revint à Fontainebleau, les rênes sur le cou de son cheval, rêveur et tout absorbé.

Quand la foule se fut éloignée, quand ils eurent entendu le bruit des chevaux et des carrosses qui allait s’éloignant, quand ils furent sûrs enfin que personne ne les pouvait voir, Aramis et Fouquet sortirent de leur grotte.

Puis, en silence, tous deux gagnèrent l’allée.

Aramis plongea son regard, non-seulement dans toute l’étendue qui se déroulait devant lui et derrière lui, mais encore dans l’épaisseur des bois.

— Monsieur Fouquet, dit-il quand il se fut bien assuré que tout était solitaire, il faut à tout prix ravoir votre lettre à La Vallière.

— Ce sera chose facile, dit Fouquet, si le grison ne l’a pas rendue.

— Il faut, en tout cas, que ce soit chose possible, comprenez-vous ?

— Oui ; le roi aime cette fille, n’est-ce pas ?

— Beaucoup, et, ce qu’il y a de pis, c’est que, de son côté, cette fille aime le roi passionnément.

— Ce qui veut dire que nous changeons de tactique, n’est-ce pas ?

— Sans aucun doute ; vous n’avez pas de temps à perdre. Il faut que vous voyiez La Vallière, et que, sans plus songer à devenir son