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toyer toujours. Vous ne sauriez croire le plaisir que cela me procurera.

— Je le veux, s’il en est ainsi, mon cher Planchet, répliqua Porthos.

Et, comme il se trouvait près de Planchet, il leva la main pour lui frapper sur l’épaule en signe de cordiale amitié.

Mais un mouvement providentiel du cheval dérangea le geste du cavalier, de sorte que sa main tomba sur la croupe du cheval de Planchet.

L’animal plia les reins.

D’Artagnan se mit à rire et à penser tout haut.

— Prends garde, Planchet ; car, si Porthos t’aime trop, il te caressera ; et, s’il te caresse, il t’aplatira : Porthos est toujours très-fort, vois-tu !

— Oh ! dit Planchet, Mousqueton n’en est pas mort, et cependant M. le baron l’aime bien.

— Certainement, dit Porthos avec un soupir qui fit simultanément cabrer les trois chevaux, et je disais encore ce matin à d’Artagnan combien je le regrettais ; mais, dis-moi, Planchet ?

— Merci, monsieur le baron, merci.

— Brave garçon, va ! Combien as-tu d’arpents de parc, toi ?

— De parc ?

— Oui. Nous compterons les prés ensuite, puis les bois après.

— Où cela, Monsieur ?

— À ton château.

— Mais, monsieur le baron, je n’ai ni château, ni parc, ni pré, ni bois.

— Qu’as-tu donc, demanda Porthos, et pourquoi nommes-tu cela une campagne, alors ?

— Je n’ai point dit une campagne, monsieur le baron, répliqua Planchet un peu humilié, mais un simple pied-à-terre.

— Ah ! ah ! fit Porthos, je comprends ; tu te réserves.

— Non, monsieur le baron, je dis la bonne vérité : j’ai deux chambres d’amis, voilà tout.

— Mais alors, dans quoi se promènent-ils, tes amis ?

— D’abord, dans la forêt du roi, qui est fort belle.

— Le fait est que la forêt est belle, dit Porthos, presque aussi belle que ma forêt du Berri.

Planchet ouvrit des grands yeux.

— Vous avez une forêt dans le genre de la forêt de Fontainebleau, monsieur le baron ? balbutia-t-il.

— Oui, j’en ai même deux ; mais celle du Berri est ma favorite.

— Pourquoi cela ? demanda gracieusement Planchet.

— Mais, d’abord, parce que je n’en connais pas la fin ; et, ensuite, parce qu’elle est pleine de braconniers.

— Et comment cette profusion de braconniers peut-elle vous rendre cette forêt si agréable ?

— En ce qu’ils chassent mon gibier et que, moi, je les chasse, ce qui, en temps de paix, est en petit, pour moi, une image de la guerre.

On en était à ce moment de la conversation, lorsque Planchet, levant le nez, aperçut les premières maisons de Fontainebleau qui se dessinaient en vigueur sur le ciel, tandis qu’au dessus de la masse compacte et informe s’élançaient les toits aigus du château, dont les ardoises reluisaient à la lune comme les écailles d’un immense poisson.

— Messieurs, dit Planchet, j’ai l’honneur de vous annoncer que nous sommes arrivés à Fontainebleau.


CXLIV

LA CAMPAGNE DE PLANCHET.


Les cavaliers levèrent la tête et virent que l’honnête Planchet disait l’exacte vérité.

Dix minutes après, ils étaient dans la rue de Lyon, de l’autre côté de l’auberge du Beau-Paon.

Une grande haie de sureaux touffus, d’aubépines et de houblons formaient une clôture impénétrable et noire, derrière laquelle s’élevait une maison blanche à large toit de tuiles.

Deux fenêtres de cette maison donnaient sur la rue.

Toutes deux étaient sombres.

Entre les deux, une petite porte, surmontée d’un auvent soutenu par des pilastres, y donnait entrée.

On arrivait à cette porte par un seuil élevé.

Planchet mit pied à terre comme s’il allait frapper à cette porte ; puis, se ravisant, il prit son cheval par la bride et marcha pendant environ trente pas encore.

Ses deux compagnons le suivirent.

Alors il arriva devant une porte charretière à claire-voie située trente pas plus loin, et, levant un loquet de bois, seule clôture de cette porte, il poussa l’un des battants.

Alors il entra le premier, tirant son cheval par la bride dans une petite cour entourée de fumier, dont la bonne odeur décelait une étable toute voisine.

— Il sent bon, dit bruyamment Porthos en mettant à son tour pied à terre, et je me croirais, en vérité, dans mes vacheries de Pierrefonds.

— Je n’ai qu’une vache, se hâta de dire modestement Planchet.

— Et moi, j’en ai trente, dit Porthos, ou plutôt je ne sais pas le nombre de mes vaches.

Les deux cavaliers étaient entrés, Planchet referma la porte derrière eux.

Pendant ce temps, d’Artagnan, qui avait mis pied à terre avec sa légèreté habituelle, humait le bon air, et, joyeux comme un Parisien qui voit de la verdure, il arrachait un brin de chèvrefeuille d’une main, une églantine de l’autre.

Porlhos avait mis ses mains sur des pois qui montaient le long des perches et mangeait ou plutôt broutait cosses et fruits.

Planchet s’occupa aussitôt de réveiller, dans son appentis, une manière de paysan, vieux et