Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/477

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À la porte se tenait Montalais, un peu inquiète de ce qui se passait dans l’esprit de sa maîtresse.

De Guiche parut.

— Ah ! c’est vous, monsieur de Guiche, dit Madame ; entrez, je vous prie… Mademoiselle de Montalais, votre service est fini.

Montalais, encore plus intriguée, salua et sortit.

Les deux interlocuteurs restèrent seuls.

Le comte avait tout l’avantage : c’était Madame qui l’avait appelé à un rendez-vous. Mais, cet avantage, comment était-il possible au comte d’en user ? C’était une personne si fantasque que Madame ! c’était un caractère si mobile que celui de Son Altesse Royale !

Elle le fit bien voir ; car, abordant soudain la conversation :

— Eh bien, dit-elle, n’avez-vous rien à me dire ?

Il crut qu’elle avait deviné sa pensée ; il crut, ceux qui aiment sont ainsi faits, ils sont crédules et aveugles comme des poëtes ou des prophètes, il crut qu’elle savait le désir qu’il avait de la voir et le sujet de ce désir.

— Oui bien, Madame, dit-il, et je trouve cela fort étrange.

— L’affaire des bracelets, s’écria-t-elle vivement, n’est-ce pas ?

— Oui, Madame.

— Vous croyez le roi amoureux ? Dites.

De Guiche la regarda longuement ; elle baissa les yeux sous ce regard qui allait jusqu’au cœur.

— Je crois, dit-il, que le roi peut avoir eu le dessein de tourmenter quelqu’un ici ; le roi, sans cela, ne se montrerait pas empressé comme il est ; il ne risquerait pas de compromettre de gaieté de cœur une jeune fille jusqu’alors inattaquable.

— Bon ! cette effrontée ? dit hautement la princesse.

— Je puis affirmer à Votre Altesse Royale, dit de Guiche avec une fermeté respectueuse, que mademoiselle de La Vallière est aimée d’un homme qu’il convient de respecter, car c’est un galant homme.

— Oh ! Bragelonne, peut-être ?

— Mon ami. Oui, Madame.

— Eh bien, quand il serait votre ami, qu’importe au roi ?

— Le roi sait que Bragelonne est fiancé à mademoiselle de La Vallière ; et, comme Raoul a servi le roi bravement, le roi n’ira pas causer un malheur irréparable.

Madame se mit à rire avec des éclats qui firent sur de Guiche une douloureuse impression.

— Je vous répète, Madame, que je ne crois pas le roi amoureux de La Vallière, et la preuve que je ne le crois pas, c’est que je voulais vous demander de qui Sa Majesté peut chercher à piquer l’amour-propre dans cette circonstance. Vous qui connaissez toute la cour, vous m’aiderez à trouver d’autant plus assurément, que, dit-on partout, Votre Altesse Royale est fort intime avec le roi.

Madame se mordit les lèvres, et, faute de bonnes raisons, elle détourna la conversation.

— Prouvez-moi, dit-elle en attachant sur lui un de ces regards dans lesquels l’âme semble passer tout entière, prouvez-moi que vous cherchiez à m’interroger, moi qui vous ai appelé.

De Guiche tira gravement de ses tablettes ce qu’il avait écrit, et le montra.

— Sympathie, dit-elle.

— Oui, fit le comte avec une insurmontable tendresse, oui, sympathie ; mais, moi, je vous ai expliqué comment et pourquoi je vous cherchais ; vous, Madame, vous êtes encore à me dire pourquoi vous me mandiez près de vous.

— C’est vrai.

Et elle hésita.

— Ces bracelets me feront perdre la tête, dit-elle tout à coup.

— Vous vous attendiez à ce que le roi dût vous les offrir ? répliqua de Guiche.

— Pourquoi pas ?

— Mais avant vous, Madame, avant vous sa belle-sœur, le roi n’avait-il pas la reine ?

— Avant La Vallière, s’écria la princesse, ulcérée, n’avait-il pas toute la cour ?

— Je vous assure, Madame, dit respectueusement le comte, que si l’on vous entendait parler ainsi, que si l’on voyait vos yeux rouges, et, Dieu me pardonne ! cette larme qui monte à vos cils, oh ! oui ! tout le monde dirait que Votre Altesse Royale est jalouse.

— Jalouse ! fit la princesse avec hauteur ; jalouse de La Vallière ?

Elle s’attendait à faire plier de Guiche avec ce geste hautain et ce ton superbe.

— Jalouse de La Vallière, oui, Madame, répéta-t-il bravement.

— Je crois, Monsieur, balbutia-t-elle, que vous vous permettez de m’insulter ?

— Je ne le crois pas, Madame, répliqua le comte un peu agité, mais résolu à dompter cette fougueuse colère.

— Sortez ! dit la princesse au comble de l’exaspération, tant le sang-froid et le respect muet de de Guiche lui tournaient à fiel et à rage.

De Guiche recula d’un pas, fit sa révérence avec lenteur, se releva blanc comme ses manchettes, et, d’une voix légèrement altérée :

— Ce n’était pas la peine que je m’empressasse, dit-il, pour subir cette injuste disgrâce.

Et il tourna le dos sans précipitation.

Il n’avait pas fait cinq pas, que Madame s’élança comme une tigresse après lui, le saisit par la manche, et, le retournant :

— Ce que vous affectez de respect, dit-elle en tremblant de fureur, est plus insultant que l’insulte. Voyons, insultez-moi, mais au moins parlez !

— Et vous, Madame, dit le comte doucement en tirant son épée, percez-moi le cœur, mais ne me faites pas mourir à petit feu.

Au regard qu’il arrêta sur elle, regard empreint d’amour, de résolution, de désespoir même, elle comprit qu’un homme, si calme en apparence, se passerait l’épée dans la poitrine si elle ajoutait un mot.

Elle lui arracha le fer d’entre les mains, et, serrant son bras avec un délire qui pouvait passer pour de la tendresse :