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— Parce que vous n’êtes pas chez vous ; que votre chambre est commune à La Vallière et à vous ; que l’on pratique assez volontiers des visites et des fouilles dans une chambre de fille d’honneur ; que je crains fort la reine, jalouse comme deux Espagnoles, et, enfin, Madame jalouse comme dix Espagnoles.

— Vous oubliez quelqu’un.

— Qui ?

— Monsieur.

— Je ne parlais que pour les femmes. Numérotons donc. Monsieur, n° 1.

— N° 2, de Guiche.

— N° 3, le vicomte de Bragelonne.

— N° 4, et le roi.

— Le roi ?

— Certainement, le roi, qui sera non-seulement plus jaloux, mais encore plus puissant que tout le monde. Ah ! ma chère !

— Après ?

— Dans quel guêpier vous êtes-vous fourrée !

— Pas encore assez avant, si vous voulez m’y suivre.

— Certainement que je vous y suivrai. Cependant…

— Cependant ?…

— Tandis qu’il en est temps encore, je crois qu’il serait prudent de retourner en arrière.

— Et moi, au contraire, je crois que le plus prudent est de nous mettre du premier coup à la tête de toutes ces intrigues-là.

— Vous n’y suffirez pas.

— Avec vous, j’en mènerais dix. C’est mon élément, voyez-vous. J’étais faite pour vivre à la cour, comme la salamandre est faite pour vivre dans les flammes.

— Votre comparaison ne me rassure pas le moins du monde, chère amie. J’ai entendu dire à des savants fort sachants, d’abord qu’il n’y a pas de salamandres, et qu’y en eût-il, elles seraient parfaitement grillées, elles seraient parfaitement rôties en sortant du feu.

— Vos savants peuvent être fort savants en affaires de salamandres. Or, vos savants ne vous diront point ceci, que je vous dis, moi : Aure de Montalais est appelée à être, avant un mois, le premier diplomate de la cour de France !

— Soit, mais à la condition que j’en serai le deuxième.

— C’est dit : alliance offensive et défensive, bien entendu.

— Seulement, défiez-vous des lettres.

— Je vous les remettrai au fur et à mesure qu’on me les remettra.

— Que dirons-nous au roi de Madame ?

— Que Madame aime toujours le roi.

— Que dirons-nous à Madame du roi ?

— Qu’elle aurait le plus grand tort de ne pas le ménager.

— Que dirons-nous à La Vallière de Madame ?

— Tout ce que nous voudrons, La Vallière est à nous.

— À nous ?

— Doublement.

— Comment cela ?

— Par le vicomte de Bragelonne, d’abord.

— Expliquez-vous.

— Vous n’oubliez pas, je l’espère, que M. de Bragelonne a écrit beaucoup de lettres à mademoiselle de La Vallière ?

— Je n’oublie rien.

— Ces lettres, c’est moi qui les recevais, c’est moi qui les cachais.

— Et, par conséquent, c’est vous qui les avez ?

— Toujours.

— Où cela ? ici ?

— Oh ! que non pas. Je les ai à Blois, dans la petite chambre que vous savez.

— Petite chambre chérie, petite chambre amoureuse, antichambre du palais que je vous ferai habiter un jour. Mais, pardon, vous dites que toutes ces lettres sont dans cette petite chambre ?

— Oui.

— Ne les mettiez-vous pas dans un coffret ?

— Sans doute, dans le même coffret où je mettais les lettres que je recevais de vous, et où je déposais les miennes quand vos affaires ou vos plaisirs vous empêchaient de venir au rendez-vous.

— Ah ! fort bien, dit Malicorne.

— Pourquoi cette satisfaction ?

— Parce que je vois la possibilité de ne pas courir à Blois après les lettres. Je les ai ici.

— Vous avez rapporté le coffret ?

— Il m’était cher, venant de vous.

— Prenez-y garde, au moins ; le coffret contient des originaux qui auront un grand prix plus tard.

— Je le sais parbleu bien ! et voilà justement pourquoi je ris, et de tout mon cœur même.

— Maintenant, un dernier mot.

— Pourquoi donc un dernier ?

— Avons-nous besoin d’auxiliaires ?

— D’aucun.

— Valets, servantes ?

— Mauvais, détestable ! Vous donnerez les lettres, vous les recevrez. Oh ! pas de fierté ; sans quoi, M. Malicorne et mademoiselle Aure, ne faisant pas leurs affaires eux-mêmes, devront se résoudre à les voir faire par d’autres.

— Vous avez raison ; mais que se passe-t-il chez M. de Guiche ?

— Rien ; il ouvre sa fenêtre.

— Disparaissons.

Et tous deux disparurent ; la conjuration était nouée.

La fenêtre qui venait de s’ouvrir était, en effet, celle du comte de Guiche.

Mais, comme eussent pu le penser les ignorants, ce n’était pas seulement pour tâcher de voir l’ombre de Madame à travers ses rideaux qu’il se mettait à cette fenêtre, et sa préoccupation n’était pas toute amoureuse.

Il venait, comme nous l’avons dit, de recevoir un courrier ; ce courrier lui avait été envoyé par de Bragelonne. De Bragelonne avait écrit à de Guiche.

Celui-ci avait lu et relu la lettre, laquelle lui avait fait une profonde impression.

— Étrange ! étrange ! murmurait-il. Par quels moyens puissants la destinée entraîne-t-elle donc les gens à leur but ?

Et, quittant la fenêtre pour se rapprocher de