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tions ; soyons grands comme notre douleur, soyons forts comme notre amour !

Et, en disant ces paroles, il la prit dans ses bras et lui fit une ceinture de ses deux mains.

— Mon seul bien ! ma vie ! suivez-moi, dit-il.

Elle fit un dernier effort dans lequel elle concentra non plus toute sa volonté, sa volonté était déjà vaincue, mais toutes ses forces.

— Non ! répliqua-t-elle faiblement, non, non ! je mourrais de honte !

— Non ! vous rentrerez en reine. Nul ne sait votre sortie… D’Artagnan seul…

— Il m’a donc trahie, lui aussi ?

— Comment cela ?

— Il avait juré…

— J’avais juré de ne rien dire au roi, dit d’Artagnan passant sa tête fine à travers la porte entr’ouverte, j’ai tenu ma parole. J’ai parlé à M. de Saint-Aignan ; ce n’est point ma faute si le roi a entendu, n’est-ce pas, sire ?

— C’est vrai, pardonnez-lui, dit le roi.

La Vallière sourit et tendit au mousquetaire sa main frêle et blanche.

— Monsieur d’Artagnan, dit le roi ravi, faites donc chercher un carrosse pour Mademoiselle.

— Sire, répondit le capitaine, le carrosse attend.

— Oh ! j’ai là le modèle des serviteurs ! s’écria le roi.

— Tu as mis le temps à t’en apercevoir, murmura d’Artagnan, flatté toutefois de la louange.

La Vallière était vaincue : après quelques hésitations, elle se laissa entraîner, défaillante, par son royal amant.

Mais, à la porte du parloir, au moment de le quitter, elle s’arracha des bras du roi et revint au crucifix de pierre qu’elle baisa en disant :

— Mon Dieu ! vous m’aviez attirée ; mon Dieu ! vous m’avez repoussée ; mais votre grâce est infinie. Seulement quand je reviendrai, oubliez que je m’en suis éloignée ; car, lorsque je reviendrai à vous, ce sera pour ne plus vous quitter.

Le roi laissa échapper un sanglot.

D’Artagnan essuya une larme.

Louis entraîna la jeune femme, la souleva jusque dans le carrosse et mit d’Artagnan auprès d’elle.

Et lui-même, montant à cheval, piqua vers le Palais-Royal, où, dès son arrivée, il fit prévenir Madame qu’elle eût à lui accorder un moment d’audience.


CLXIX

CHEZ MADAME


À la façon dont le roi avait quitté les ambassadeurs, les moins clairvoyants avaient deviné une guerre.

Les ambassadeurs eux-mêmes, peu instruits de la chronique intime, avaient interprété contre eux ce mot célèbre : « Si je ne suis pas maître de moi, je le serai de ceux qui m’outragent. »

Heureusement pour les destinées de la France et de la Hollande, Colbert les avait suivis pour leur donner quelques explications, mais les reines et Madame, fort intelligentes de tout ce qui se faisait dans leurs maisons, ayant entendu ce mot plein de menaces, s’en étaient allées avec beaucoup de crainte et de dépit.

Madame, surtout, sentait que la colère royale tomberait sur elle, et, comme elle était brave, haute à l’excès, au lieu de chercher appui chez la reine mère, elle s’était retirée chez elle, sinon sans inquiétude, du moins sans intention d’éviter le combat. De temps en temps, Anne d’Autriche envoyait des messagers pour s’informer si le roi était revenu.

Le silence que gardait le château sur cette affaire et la disparition de Louise étaient le présage d’une quantité de malheurs pour qui savait l’humeur fière et irritable du roi.

Mais Madame, tenant ferme contre tous ces bruits, se renferma dans son appartement, appela Montalais près d’elle, et, de sa voix la moins émue, fit causer cette fille sur l’événement. Au moment où l’éloquente Montalais concluait avec toutes sortes de précautions oratoires et recommandait à Madame la tolérance sous bénéfice de réciprocité, M. Malicorne parut chez Madame pour demander une audience à cette princesse.

Le digne ami de Montalais portait sur son visage tous les signes de l’émotion la plus vive. Il était impossible de s’y méprendre : l’entrevue demandée par le roi devait être un des chapitres les plus intéressants de cette histoire du cœur des rois et des hommes.

Madame fut troublée par cette arrivée de son beau-frère ; elle ne l’attendait pas si tôt ; elle ne s’attendait pas, surtout, à une démarche directe de Louis.

Or, les femmes, qui font si bien la guerre indirectement, sont toujours moins habiles et moins fortes quand il s’agit d’accepter une bataille en face.

Madame, avons-nous dit, n’était pas de ceux qui reculent, elle avait le défaut ou la qualité contraire.

Elle exagérait la vaillance ; aussi, cette dépêche du roi apportée par Malicorne, lui fit-elle l’effet de la trompette qui sonne les hostilités. Elle releva fièrement le gant.

Cinq minutes après, le roi montait l’escalier.

Il était rouge d’avoir couru à cheval. Ses habits poudreux et en désordre contrastaient avec la toilette si fraîche et si ajustée de Madame, qui, elle, pâlissait sous son rouge.

Louis ne fit pas de préambule ; il s’assit. Montalais disparut.

Madame s’assit en face du roi.

— Ma sœur, dit Louis, vous savez que mademoiselle de La Vallière s’est enfuie de chez elle ce matin, et qu’elle a été porter sa douleur, son désespoir dans un cloître ?

En prononçant ces mots, la voix du roi était singulièrement émue.

— C’est Votre Majesté qui me l’apprend, répliqua Madame.

— J’aurais cru que vous l’aviez appris ce