jusque-là l’offense, vos parents vous soutiendraient ?
— J’espère, sire, que vous ne me forcerez à rien qui soit indigne de mon rang.
— J’espérais que vous vous souviendriez de notre amitié, que vous me traiteriez en frère.
— Ce n’est pas vous méconnaître pour mon frère, dit-elle, que de refuser une injustice à Votre Majesté.
— Une injustice ?
— Oh ! sire, si j’apprenais à tout le monde la conduite de La Vallière, si les reines savaient…
— Allons, allons, Henriette, laissez parler votre cœur ; souvenez-vous que vous m’avez aimé, souvenez-vous que le cœur des humains doit être aussi miséricordieux que le cœur du souverain Maître. N’ayez point d’inflexibilité pour les autres ; pardonnez à La Vallière.
— Je ne puis ; elle m’a offensée.
— Mais moi, moi ?
— Sire, pour vous, je ferai tout au monde, excepté cela.
— Alors, vous me conseillez le désespoir… Vous me rejetez dans cette dernière ressource des gens faibles ; alors vous me conseillez la colère et l’éclat ?
— Sire, je vous conseille la raison.
— La raison ?… Ma sœur je n’ai plus de raison.
— Sire, par grâce !
— Ma sœur ! par pitié, c’est la première fois que je supplie ; ma sœur je n’ai plus d’espoir qu’en vous.
— Oh ! sire, vous pleurez ?
— De rage, oui, d’humiliation. Avoir été obligé de m’abaisser aux prières, moi ! le roi ! Toute ma vie, je détesterai ce moment. Ma sœur, vous m’avez fait endurer en une seconde plus de maux que je n’en avais prévu dans les plus dures extrémités de cette vie.
Et le roi, se levant, donna un libre essor à ses larmes, qui, effectivement, étaient des pleurs de colère et de honte.
Madame fut, non pas touchée, car les femmes les meilleures n’ont pas de pitié dans l’orgueil, mais elle eut peur que ces larmes n’entraînassent avec elles tout ce qu’il y avait d’humain dans le cœur du roi.
— Ordonnez, sire, dit-elle ; et, puisque vous préférez mon humiliation à la vôtre, bien que la mienne soit publique et que la vôtre n’ait que moi pour témoin, parlez, j’obéirai au roi.
— Non, non, Henriette ! s’écria Louis transporté de reconnaissance, vous aurez cédé au frère !
— Je n’ai plus de frère, puisque j’obéis.
— Voulez-vous tout mon royaume pour remercîment ?
— Comme vous aimez, dit-elle, quand vous aimez !
Il ne répondit pas. Il avait pris la main de Madame et la couvrait de baisers.
— Ainsi, dit-il, vous recevrez cette pauvre fille, vous lui pardonnerez, vous reconnaîtrez la douceur, la droiture de son cœur ?
— Je la maintiendrai dans ma maison.
— Non, vous lui rendrez votre amitié, ma chère sœur.
— Je ne l’ai jamais aimée.
— Eh bien, pour l’amour de moi, vous la traiterez bien, n’est-ce pas, Henriette ?
— Soit ! je la traiterai comme une fille à vous !
Le roi se releva. Par ce mot échappé si funestement, Madame avait détruit tout le mérite de son sacrifice. Le roi ne lui devait plus rien.
Ulcéré, mortellement atteint, il répliqua :
— Merci, Madame, je me souviendrai éternellement du service que vous m’avez rendu.
Et saluant avec une affectation de cérémonie, il prit congé.
En passant devant une glace, il vit ses yeux rouges et frappa du pied avec colère.
Mais il était trop tard : Malicorne et d’Artagnan, placés à la porte, avaient vu ses yeux.
— Le roi a pleuré, pensa Malicorne.
D’Artagnan s’approcha respectueusement du roi.
— Sire, dit-il tout bas, il vous faut prendre le petit degré pour rentrer chez vous.
— Pourquoi ?
— Parce que la poussière du chemin a laissé des traces sur votre visage, dit d’Artagnan. Allez, sire, allez ! Mordious ! pensa-t-il, quand le roi eut cédé comme un enfant, gare à ceux qui feront pleurer celle qui fait pleurer le roi.
CLXX
LE MOUCHOIR DE MADEMOISELLE DE LA VALLIÈRE.
Madame n’était pas méchante : elle n’était qu’emportée.
Le roi n’était pas imprudent : il n’était qu’amoureux.
À peine tous deux eurent-ils fait cette sorte de pacte, qui aboutissait au rappel de La Vallière, que l’un et l’autre cherchèrent à gagner sur le marché.
Le roi voulut voir La Vallière à chaque instant du jour.
Madame, qui sentait le dépit du roi depuis la scène des supplications, ne voulait pas abandonner La Vallière sans combattre.
Elle semait donc les difficultés sous les pas du roi.
En effet, le roi, pour obtenir la présence de sa maîtresse, devait être forcé de faire la cour à sa belle-sœur.
De ce plan dérivait toute la politique de Madame.
Comme elle avait choisi quelqu’un pour la seconder, et que ce quelqu’un était Montalais, le roi se trouva cerné chaque fois qu’il venait chez Madame. On l’entourait, et on ne le quittait pas. Madame déployait dans ses entretiens une grâce et un esprit qui éclipsaient tout.
Montalais lui succédait. Elle ne tarda pas à devenir insupportable au roi.
C’est ce qu’elle attendait.