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couvert, et s’ouvre comme un livre où tout le monde peut lire, depuis le roi jusqu’au premier passant. Aure, ma chère Aure, que faire ? Que devenir ?

Montalais se rapprocha.

— Dame ! consulte-toi, dit-elle.

— Eh bien, je n’aime pas M. de Bragelonne ; quand je dis que je ne l’aime pas, comprends-moi : je l’aime comme la plus tendre sœur peut aimer un bon frère ; mais ce n’est point cela qu’il me demande, ce n’est point cela que je lui ai promis.

— Enfin, tu aimes le roi, dit Montalais, et c’est une assez bonne excuse.

— Oui, j’aime le roi, murmura sourdement la jeune fille, et j’ai payé assez cher le droit de prononcer ces mots. Eh bien, parle, Montalais ; que peux-tu pour moi ou contre moi dans la position où je me trouve ?

— Parle-moi plus clairement.

— Que te dirai-je ?

— Ainsi, rien de plus particulier ?

— Non, fit Louise avec étonnement.

— Bien ! Alors, c’est un simple conseil que tu me demandes ?

— Oui.

— Relativement à M. Raoul ?

— Pas autre chose.

— C’est délicat, répliqua Montalais.

— Non, rien n’est délicat là-dedans. Faut-il que je l’épouse pour lui tenir la promesse faite ? faut-il que je continue d’écouter le roi ?

— Sais-tu bien que tu me mets dans une position difficile, dit Montalais en souriant ; tu me demandes si tu dois épouser Raoul, dont je suis l’amie, et à qui je fais un mortel déplaisir en me prononçant contre lui. Tu me parles ensuite de ne plus écouter le roi, le roi, dont je suis la sujette, et que j’offenserais en te conseillant d’une certaine façon. Ah ! Louise, Louise, tu fais bon marché d’une bien difficile position.

— Vous ne m’avez pas comprise, Aure, dit La Vallière blessée du ton légèrement railleur qu’avait pris Montalais : si je parle d’épouser M. de Bragelonne, c’est que je puis l’épouser sans lui faire aucun déplaisir ; mais, par la même raison, si j’écoute le roi, faut-il le faire usurpateur d’un bien fort médiocre, c’est vrai, mais auquel l’amour prête une certaine apparence de valeur ? Ce que je te demande donc, c’est de m’enseigner un moyen de me dégager honorablement, soit d’un côté, soit de l’autre, ou plutôt je te demande de quel côté je puis me dégager le plus honorablement.

— Ma chère Louise, répondit Montalais après un silence, je ne suis pas un des sept sages de la Grèce et je n’ai point de règles de conduite parfaitement invariables ; mais, en échange, j’ai quelque expérience, et je puis te dire que jamais une femme ne demande un conseil du genre de celui que tu me demandes sans être fortement embarrassée. Or, tu as fait une promesse solennelle, tu as de l’honneur ; si donc tu es embarrassée, ayant pris un tel engagement, ce n’est pas le conseil d’une étrangère, tout est étranger pour un cœur plein d’amour, ce n’est pas, dis-je, mon conseil qui te tirera d’embarras. Je ne te le donnerai donc point, d’autant plus qu’à ta place je serais encore plus embarrassée après le conseil qu’auparavant. Tout ce que je puis faire, c’est de te répéter ce que je t’ai déjà dit : Veux-tu que je t’aide ?

— Oh ! oui.

— Eh bien, c’est tout… Dis-moi en quoi tu veux que je t’aide ; dis-moi pour qui et contre qui. De cette façon nous ne ferons point d’école.

— Mais, d’abord, toi, dit La Vallière en pressant la main de sa compagne, pour qui ou contre qui te déclares-tu ?

— Pour toi, si tu es véritablement mon amie…

— N’es-tu pas la confidente de Madame ?

— Raison de plus pour t’être utile ; si je ne savais rien de ce côté-là, je ne pourrais pas t’aider, et tu ne tirerais, par conséquent, aucun profit de ma connaissance. Les amitiés vivent de ces sortes de bénéfices mutuels.

— Il en résulte que tu resteras en même temps l’amie de Madame ?

— Évidemment. T’en plains-tu ?

— Non, dit La Vallière rêveuse, car cette franchise cynique lui paraissait une offense faite à la femme et un tort fait à l’amie.

— À la bonne heure, dit Montalais ; car, en ce cas, tu serais bien sotte.

— Donc, tu me serviras ?

— Avec dévouement, surtout si tu me sers de même.

— On dirait que tu ne connais pas mon cœur, dit La Vallière en regardant Montalais avec de grands yeux étonnés.

— Dame ! c’est que, depuis que nous sommes à la cour, ma chère Louise, nous sommes bien changées.

— Comment, cela !

— C’est bien simple : étais-tu la seconde reine de France, là-bas, à Blois ?

La Vallière baissa la tête et se mit à pleurer.

Montalais la regarda d’une façon indéfinissable et on l’entendit murmurer ces mots :

— Pauvre fille !

Puis, se reprenant :

— Pauvre roi ! dit-elle.

Elle baisa Louise au front et regagna son appartement, où l’attendait Malicorne.


CLXXV

LE PORTRAIT


Dans cette maladie qu’on appelle l’amour, les accès se suivent à des intervalles toujours plus rapprochés dès que le mal débute.

Plus tard, les accès s’éloignent les uns des autres, au fur et à mesure que la guérison arrive.

Cela posé, comme axiome en général et comme tête de chapitre en particulier, continuons notre récit.

Le lendemain, jour fixé par le roi pour le premier entretien chez de Saint-Aignan, La Vallière, en ouvrant son paravent, trouva sur le parquet un billet écrit de la main du roi.

Ce billet avait passé de l’étage inférieur au supérieur par la fente du parquet. Nulle main