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D’Artagnan fut introduit par Bazin dans une chambre assez médiocre, où il trouva un assez mauvais lit ; mais d’Artagnan n’était pas difficile. On lui avait dit qu’Aramis avait emporté les clefs de son appartement particulier, et comme il savait qu’Aramis était un homme d’ordre et avait généralement beaucoup de choses à cacher dans son appartement, cela ne l’avait nullement étonné. Il avait donc, quoiqu’il lui parût comparativement plus dur, attaqué le lit aussi bravement qu’il avait attaqué le poulet, et comme il avait aussi bon sommeil que bon appétit, il n’avait guère mis plus de temps à s’endormir qu’il n’en avait mis à sucer le dernier os de son rôti.

Depuis qu’il n’était plus au service de personne, d’Artagnan s’était promis d’avoir le sommeil aussi dur qu’il l’avait léger autrefois ; mais de si bonne foi que d’Artagnan se fût fait cette promesse, et quelque désir qu’il eût de se la tenir religieusement, il fut réveillé au milieu de la nuit par un grand bruit de carrosses et de laquais à cheval. Une illumination soudaine embrasa les murs de sa chambre ; il sauta hors de son lit tout en chemise et courut à la fenêtre.

— Est-ce que le roi revient par hasard ? pensa-t-il en se frottant les yeux, car en vérité voilà une suite qui ne peut appartenir qu’à une personne royale.

— Vive M. le surintendant ! cria ou plutôt vociféra à une fenêtre du rez-de-chaussée une voix qu’il reconnut pour celle de Bazin, lequel, tout en criant, agitait un mouchoir d’une main et tenait une grosse chandelle de l’autre.

D’Artagnan vit alors quelque chose comme une brillante forme humaine qui se penchait à la portière du principal carrosse ; en même temps de longs éclats de rire, suscités sans doute par l’étrange figure de Bazin, et qui sortaient du même carrosse, laissaient comme une traînée de joie sur le passage du rapide cortége.

— J’aurais bien dû voir, dit d’Artagnan, que ce n’était pas le roi ; on ne rit pas de si bon cœur quand le roi passe. Hé ! Bazin ! cria-t-il à son voisin qui se penchait aux trois-quarts hors de la fenêtre pour suivre plus longtemps le carrosse des yeux, hé ! qu’est-ce que cela ?

— C’est M. Fouquet, dit Bazin d’un air de protection.

— Et tous ces gens ?

— C’est la cour de M. Fouquet.

— Oh ! oh ! dit d’Artagnan, que dirait M. de Mazarin s’il entendait cela.

Et il se recoucha tout rêveur en se demandant comment il se faisait qu’Aramis fût toujours protégé par le plus puissant du royaume.

Serait-ce qu’il a plus de chance que moi ou que je serais plus sot que lui ? Bah !

C’était le mot concluant à l’aide duquel d’Artagnan devenu sage terminait maintenant chaque pensée et chaque période de son style. Autrefois, il disait Mordioux ! ce qui était un coup d’éperon, mais maintenant il avait vieilli, et il murmurait ce bah ! philosophique qui sert de bride à toutes les passions.


XVIII

OÙ D’ARTAGNAN CHERCHE PORTHOS ET NE TROUVE QUE MOUSQUETON.


Lorsque d’Artagnan se fut bien convaincu que l’absence de M. le vicaire général d’Herblay était réelle, et que son ami n’était point trouvable à Melun ni dans les environs, il quitta Bazin sans regret, donna un coup d’œil sournois au magnifique château de Vaux, qui commençait à briller de cette splendeur qui fit sa ruine, et pinçant ses lèvres comme un homme plein de défiance et de soupçons, il piqua son cheval pie en disant :

— Allons, allons, c’est encore à Pierrefonds que je trouverai le meilleur homme et le meilleur coffre. Or, je n’ai besoin que de cela, puisque moi j’ai l’idée.

Nous ferons grâce à nos lecteurs des incidents prosaïques du voyage de d’Artagnan, qui toucha barre à Pierrefonds dans la matinée du troisième jour. D’Artagnan arrivait par Nanteuil-le-Haudouin et Crécy. De loin il aperçut le château de Louis d’Orléans, lequel, devenu domaine de la couronne, était gardé par un vieux concierge. C’était un de ces manoirs merveilleux du moyen âge, aux murailles épaisses de vingt pieds, aux tours hautes de cent.

D’Artagnan longea ses murailles, mesura ses tours des yeux, et descendit dans la vallée. De loin il dominait le château de Porthos, situé sur les rives d’un vaste étang et attenant à une magnifique forêt. C’est le même que nous avons déjà eu l’honneur de décrire à nos lecteurs ; nous nous contenterons donc de l’indiquer. La première chose qu’aperçut d’Artagnan après les beaux arbres, après le soleil de mai dorant les coteaux verts, après les longues futaies de bois empanachées qui s’étendent vers Compiègne, ce fut une grande boîte roulante, poussée par deux laquais et traînée par deux autres. Dans cette boîte il y avait une énorme chose verte et or qui arpentait, traînée et poussée, les allées riantes du parc. Cette chose, de loin, était indétaillable et ne signifiait absolument rien ; de plus près, c’était un tonneau affublé de drap vert galonné ; de plus près encore, c’était un homme ou plutôt un poussah dont l’extrémité inférieure, se répandant dans la boîte, en remplissait le contenu ; de plus près encore, cet homme, c’était Mousqueton, Mousqueton blanc de cheveux et rouge de visage comme Polichinelle.

— Eh pardieu ! s’écria d’Artagnan, c’est ce cher M. Mousqueton !

— Ah !… cria le gros homme, ah ! quel bonheur ! quelle joie ! c’est M. d’Artagnan !… Arrêtez, coquins !

Ces derniers mots s’adressaient aux laquais qui le poussaient et qui le tiraient. La boîte s’arrêta, et les quatre laquais, avec une précision toute militaire, ôtèrent à la fois leurs chapeaux galonnés et se rangèrent derrière la boîte.

— Oh ! monsieur d’Artagnan, dit Mousqueton, que ne puis-je vous embrasser les genoux ! Mais je suis devenu impotent, comme vous voyez.