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D’Artagnan, dont les sens veillaient toujours, entendit le trot des chevaux. C’était au moment où Raoul disait à Porthos de dépasser le carrosse, pour voir quelle était la personne qui accompagnait Athos. Porthos obéit, mais il ne put rien voir ; les mantelets étaient baissés.

La colère et l’impatience gagnaient Raoul. Il venait de remarquer ce mystère de la part des compagnons d’Athos, et il se décidait aux extrémités.

D’un autre côté, d’Artagnan avait parfaitement reconnu Porthos ; il avait, sous le cuir des mantelets, reconnu également Raoul, et communiqué au comte le résultat de son observation. Ils voulaient voir si Raoul et Porthos pousseraient les choses au dernier degré.

Cela ne manqua pas. Raoul, le pistolet au poing, fondit sur le premier cheval du carrosse en commandant au cocher d’arrêter.

Porthos saisit le cocher et l’enleva de dessus son siège.

Grimaud tenait déjà la portière du carrosse arrêté.

Raoul ouvrit ses bras en criant :

— Monsieur le comte ! monsieur le comte !

— Eh bien ! c’est vous, Raoul ? dit Athos ivre de joie.

— Pas mal ! ajouta d’Artagnan avec un éclat de rire.

Et tous deux embrassèrent le jeune homme et Porthos, qui s’étaient emparés d’eux.

— Mon brave Porthos, excellent ami ! s’écria Athos ; toujours vous !

— Il a encore vingt ans ! dit d’Artagnan. Bravo, Porthos !

— Dame ! répondit Porthos un peu confus, nous avons cru que l’on vous arrêtait.

— Tandis que, reprit Athos, il ne s’agissait que d’une promenade dans le carrosse de M. d’Artagnan.

— Nous vous suivons depuis la Bastille, répliqua Raoul avec un ton de soupçon et de reproche.

— Où nous étions allés souper avec ce bon M. de Baisemeaux. Vous rappelez-vous Baisemeaux, Porthos ?

— Pardieu ! très-bien.

— Et nous y avons vu Aramis.

— À la Bastille ?

— À souper.

— Ah ! s’écria Porthos en respirant.

— Il nous a dit mille choses pour vous.

— Merci !

— Où va monsieur le comte ? demanda Grimaud que son maître avait déjà récompensé par un sourire.

— Nous allons à Blois, chez nous.

— Comme cela ?… tout droit ?

— Tout droit.

— Sans bagages ?

— Oh ! mon Dieu ! Raoul eût été chargé de m’expédier les miens ou de me les apporter en revenant chez moi s’il y revient.

— Si rien ne l’arrête plus à Paris, dit d’Artagnan avec un regard ferme et tranchant comme l’acier, douloureux comme lui, car il rouvrit les blessures du pauvre jeune homme, il fera bien de vous suivre, Athos.

— Rien ne m’arrête plus à Paris, dit Raoul.

— Nous partons, alors, répliqua sur-le-champ Athos.

— Et Monsieur d’Artagnan ?

— Oh ! moi, j’accompagnais Athos jusqu’à la barrière seulement, et je reviens avec Porthos.

— Très-bien, dit celui-ci.

— Venez, mon fils, ajouta le comte en passant doucement le bras autour du cou de Raoul pour l’attirer dans le carrosse, et en l’embrassant encore. Grimaud, poursuivit le comte, tu vas retourner doucement à Paris avec ton cheval et celui de M. du Vallon ; car, Raoul et moi, nous montons à cheval ici, et laissons le carrosse à ces deux messieurs pour rentrer dans Paris ; puis, une fois au logis, tu prendras mes hardes, mes lettres, et tu expédieras le tout chez nous.

— Mais, fit observer Raoul, qui cherchait à faire parler le comte, quand vous reviendrez à Paris, il ne vous restera ni linge ni effets ; ce sera bien incommode.

— Je pense que, d’ici à bien longtemps, Raoul, je ne retournerai à Paris. Le dernier séjour que nous y fîmes ne m’a pas encouragé à en faire d’autres.

Raoul baissa la tête et ne dit plus un mot.

Athos descendit du carrosse, et monta le cheval qui avait amené Porthos et qui sembla fort heureux de l’échange.

On s’était embrassé, on s’était serré les mains, on s’était donné mille témoignages d’éternelle amitié. Porthos avait promis de passer un mois chez Athos à son premier loisir. D’Artagnan promit de mettre à profit son premier congé ; puis, ayant embrassé Raoul pour la dernière fois :

— Mon enfant, dit-il, je t’écrirai.

Il y avait tout dans ces mots de d’Artagnan, qui n’écrivait jamais. Raoul fut touché jusqu’aux larmes. Il s’arracha des mains du mousquetaire et partit.

D’Artagnan rejoignit Porthos dans le carrosse.

— Eh bien, dit-il, cher ami, en voilà une journée !

— Mais, oui, répliqua Porthos.

— Vous devez être éreinté ?

— Pas trop. Cependant je me coucherai de bonne heure, afin d’être prêt demain.

— Et pourquoi cela ?

— Pardieu ! pour finir ce que j’ai commencé.

— Vous me faites frémir, mon ami ; je vous vois tout effarouché. Que diable avez-vous commencé qui ne soit pas fini ?

— Écoutez donc, Raoul ne s’est pas battu. Il faut que je me batte, moi !

— Avec qui ?… avec le roi ?

— Comment, avec le roi ? dit Porthos stupéfait.

— Mais oui, grand enfant, avec le roi !

— Je vous assure que c’est avec M. de Saint-Aignan.

— Voilà ce que je voulais vous dire. En vous battant avec ce gentilhomme, c’est contre le roi que vous tirez l’épée.

— Ah ! fit Porthos en écarquillant les yeux, vous en êtes sûr ?

— Pardieu !