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— Il nous faudrait un levier.

— C’est chose facile à se procurer.

En regardant autour d’eux, Athos et Monck aperçurent un petit frêne de trois pouces de diamètre qui avait poussé dans un angle du mur, montant jusqu’à une fenêtre que ses branches avaient aveuglée.

— As-tu un couteau ? dit Monck au pêcheur.

— Oui, Monsieur.

— Coupe cet arbre, alors.

Le pêcheur obéit, mais non sans que son coutelas en fût ébréché. Lorsque le frêne fut arraché, façonné en forme de levier, les trois hommes pénétrèrent dans le souterrain.

— Arrête-toi là, dit Monck au pêcheur en lui désignant un coin du caveau ; nous avons de la poudre à déterrer, et ton falot serait dangereux.

L’homme se recula avec une sorte de terreur et garda fidèlement le poste qu’on lui avait assigné, tandis que Monck et Athos tournaient derrière une colonne au pied de laquelle, par un soupirail, pénétrait un rayon de lune reflété précisément par la pierre que le comte de La Fère venait chercher de si loin.

— Nous y voici, dit Athos en montrant au général l’inscription latine.

— Oui, dit Monck.

Puis, comme il voulait encore laisser au Français un moyen évasif :

— Ne remarquez-vous pas, continua-t-il, que l’on a déjà pénétré dans ce caveau, et que plusieurs statues ont été brisées ?

— Milord, vous avez sans doute entendu dire que le respect religieux de vos Écossais aime à donner en garde aux statues des morts les objets précieux qu’ils ont pu posséder pendant leur vie. Ainsi les soldats ont dû penser que sous le piédestal des statues qui ornaient la plupart de ces tombes un trésor était enfoui ; ils ont donc brisé piédestal et statue. Mais la tombe du vénérable chanoine à qui nous avons affaire ne se distingue par aucun monument ; elle est simple, puis elle a été protégée par la crainte superstitieuse que vos puritains ont toujours eue du sacrilège ; pas un morceau de cette tombe n’a été écaillé.

— C’est vrai, dit Monck.

Athos saisit le levier.

— Voulez-vous que je vous aide ? dit Monck.

— Merci, milord, je ne veux pas que Votre Honneur mette la main à une œuvre dont peut-être elle ne voudrait pas prendre la responsabilité si elle en connaissait les conséquences probables.

Monck leva la tête.

— Que voulez-vous dire, Monsieur ? demanda-t-il.

— Je veux dire… Mais cet homme…

— Attendez, dit Monck, je comprends ce que vous craignez et vais faire une épreuve.

Monck se retourna vers le pêcheur, dont on apercevait la silhouette éclairée par le falot.

Come here, friend, dit-il avec le ton du commandement.

Le pêcheur ne bougea pas.

— C’est bien, continua-t-il, il ne sait pas l’anglais. Parlez-moi donc anglais, s’il vous plaît, Monsieur.

— Milord, répondit Athos, j’ai souvent vu des hommes, dans certaines circonstances, avoir sur eux-mêmes cette puissance de ne point répondre à une question faite dans une langue qu’ils comprennent. Le pêcheur est peut-être plus savant que nous le croyons. Veuillez le congédier, milord, je vous prie.

— Décidément, pensa Monck, il désire me tenir seul dans ce caveau. N’importe, allons jusqu’au bout ; un homme vaut un homme, et nous sommes seuls… Mon ami, dit Monck au pêcheur, remonte cet escalier que nous venons de descendre, et veille à ce que personne ne nous vienne troubler.

Le pêcheur fit un mouvement pour obéir.

— Laisse ton falot, dit Monck, il trahirait ta présence et pourrait te valoir quelque coup de mousquet effarouché.

Le pêcheur parut apprécier le conseil, déposa le falot à terre et disparut sous la voûte de l’escalier.

Monck alla prendre le falot, qu’il apporta au pied de la colonne.

— Ah çà ! dit-il, c’est bien de l’argent qui est caché dans cette tombe ?

— Oui, milord, et dans cinq minutes vous n’en douterez plus.

En même temps, Athos frappait un coup violent sur le plâtre, qui se fendait en présentant une gerçure au bec du levier. Athos introduisit la pince dans cette gerçure, et bientôt des morceaux tout entiers de plâtre cédèrent, se soulevant comme des dalles arrondies. Alors le comte de La Fère saisit les pierres et les écarta avec des ébranlements dont on n’aurait pas cru capables des mains aussi délicates que les siennes.

— Milord, dit Athos, voici bien la maçonnerie dont j’ai parlé à Votre Honneur.

— Oui, mais je ne vois pas encore les barils, dit Monck.

— Si j’avais un poignard, dit Athos en regardant autour de lui, vous les verriez bientôt, Monsieur. Malheureusement, j’ai oublié le mien dans la tente de Votre Honneur.

— Je vous offrirais bien le mien, dit Monck, mais la lame me semble trop frêle pour la besogne à laquelle vous la destinez.

Athos parut chercher autour de lui un objet quelconque qui pût remplacer l’arme qu’il désirait.

Monck ne perdait pas un des mouvements de ses mains, une des expressions de ses yeux.

— Que ne demandez-vous le coutelas du pêcheur ? dit Monck. Il avait un coutelas.

— Ah ! c’est juste, dit Athos, puisqu’il s’en est servi pour couper cet arbre.

Et il s’avança vers l’escalier.

— Mon ami, dit-il au pêcheur, jetez-moi votre coutelas, je vous prie, j’en ai besoin.

Le bruit de l’arme retentit sur les marches.

— Prenez, dit Monck, c’est un instrument solide, à ce que j’ai vu, et dont une main ferme peut tirer bon parti.

Athos ne parut accorder aux paroles de Monck que le sens naturel et simple sous lequel elles devaient être entendues et comprises. Il ne remarqua pas non plus, ou du moins il ne parut pas remarquer, que, lorsqu’il revint à Monck,