Et il prononça ces paroles avec la farouche et invincible résolution du puritain le plus gangrené. D’Artagnan regarda son prisonnier en homme qui sait la valeur de chaque mot et qui fixe cette valeur d’après l’accent avec lequel il a été prononcé.
— Le fait est, dit-il tout bas au roi, que le général est un homme décidé ; il n’a pas voulu prendre une bouchée de pain, ni avaler une goutte de vin depuis deux jours. Mais comme à partir de ce moment c’est Votre Majesté qui décide de son sort, je m’en lave les mains, comme dit Pilate.
Monck, debout, pâle et résigné, attendait l’œil fixe et les bras croisés.
D’Artagnan se retourna vers lui.
— Vous comprenez parfaitement, lui dit-il, que votre phrase, très belle du reste, ne peut accommoder personne, pas même vous. Sa Majesté voulait vous parler, vous vous refusiez à une entrevue ; pourquoi maintenant que vous voilà face à face, que vous y voilà par une force indépendante de votre volonté, pourquoi nous contraindriez-vous à des rigueurs que je regarde comme inutiles et absurdes ? Parlez, que diable ! ne fût-ce que pour dire non.
Monck ne desserra pas les lèvres, Monck ne détourna point les yeux, Monck se caressa la moustache avec un air soucieux qui annonçait que les choses allaient se gâter.
Pendant ce temps, Charles II était tombé dans une réflexion profonde. Pour la première fois, il se trouvait en face de Monck, c’est-à-dire de cet homme qu’il avait tant désiré voir, et, avec ce coup d’œil particulier que Dieu a donné à l’aigle et aux rois, il avait sondé l’abîme de son cœur.
Il voyait donc Monck résolu bien positivement à mourir plutôt qu’à parler, ce qui n’était pas extraordinaire de la part d’un homme aussi considérable, et dont la blessure devait en ce moment être si cruelle. Charles II prit à l’instant même une de ces déterminations sur lesquelles un homme ordinaire joue sa vie, un général sa fortune, un roi son royaume.
— Monsieur, dit-il à Monck, vous avez parfaitement raison sur certains points. Je ne vous demande donc pas de me répondre, mais de m’écouter.
Il y eut un moment de silence, pendant lequel le roi regarda Monck, qui resta impassible.
— Vous m’avez fait tout à l’heure un douloureux reproche, Monsieur, continua le roi. Vous avez dit qu’un de mes émissaires était allé à Newcastle vous dresser une embûche, et cela, par parenthèse, n’aura pas été compris par M. d’Artagnan que voici, et auquel, avant toute chose, je dois des remerciements bien sincères pour son généreux, pour son héroïque dévouement.
D’Artagnan salua avec respect. Monck ne sourcilla point.
— Car M. d’Artagnan, et remarquez bien, monsieur Monck, que je ne vous dis pas ceci pour m’excuser, car M. d’Artagnan, continua le roi, est allé en Angleterre de son propre mouvement, sans intérêt, sans ordre, sans espoir, comme un vrai gentilhomme qu’il est, pour rendre service à un roi malheureux et pour ajouter un beau fait de plus aux illustres actions d’une existence si bien remplie.
D’Artagnan rougit un peu et toussa pour se donner une contenance. Monck ne bougea point.
— Vous ne croyez pas à ce que je vous dis, monsieur Monck ? reprit le roi. Je comprends cela : de pareilles preuves de dévouement sont si rares, que l’on pourrait mettre en doute leur réalité.
— Monsieur aurait bien tort de ne pas vous croire, sire, s’écria d’Artagnan, car ce que Votre Majesté vient de dire est l’exacte vérité, et la vérité si exacte, qu’il paraît que j’ai fait, en allant trouver le général, quelque chose qui contrarie tout. En vérité, si cela est ainsi, j’en suis au désespoir.
— Monsieur d’Artagnan, s’écria le roi en prenant la main du mousquetaire, vous m’avez plus obligé, croyez-moi, que si vous eussiez fait réussir ma cause, car vous m’avez révélé un ami inconnu auquel je serai à jamais reconnaissant, et que j’aimerai toujours.
Et le roi lui serra cordialement la main.
— Et, continua-t-il en saluant Monck, un ennemi que j’estimerai désormais à sa valeur.
Les yeux du puritain lancèrent un éclair, mais un seul, et son visage, un instant illuminé par cet éclair, reprit sa sombre impassibilité.
— Donc, monsieur d’Artagnan, poursuivit Charles, voici ce qui allait arriver : M. le comte de La Fère, que vous connaissez, je crois, était parti pour Newcastle…
— Athos ? s’écria d’Artagnan.
— Oui, c’est son nom de guerre, je crois. Le comte de La Fère était donc parti pour Newcastle, et il allait peut-être amener le général à quelque conférence avec moi ou avec ceux de mon parti, quand vous êtes violemment, à ce qu’il paraît, intervenu dans la négociation.
— Mordioux ! répliqua d’Artagnan, c’était lui sans doute qui entrait dans le camp le soir même où j’y pénétrais avec mes pêcheurs…
Un imperceptible froncement de sourcils de Monck apprit à d’Artagnan qu’il avait deviné juste.
— Oui, oui, murmura-t-il, j’avais cru reconnaître sa taille, j’avais cru entendre sa voix. Maudit que je suis ! Oh ! sire, pardonnez-moi ; je croyais cependant avoir bien mené ma barque.
— Il n’y a rien de mal, Monsieur, dit le roi, sinon que le général m’accuse de lui avoir fait tendre un piège, ce qui n’est pas. Non, général, ce ne sont pas là les armes dont je comptais me servir avec vous ; vous l’allez voir bientôt. En attendant, quand je vous donne ma foi de gentilhomme, croyez-moi, Monsieur, croyez-moi. Maintenant, monsieur d’Artagnan, un mot.
— J’écoute à genoux, sire.
— Vous êtes bien à moi, n’est-ce pas ?
— Votre Majesté l’a vu. Trop !
— Bien. D’un homme comme vous, un mot suffit. D’ailleurs, à côté du mot, il y a les actions. Général, veuillez me suivre. Venez avec nous, monsieur d’Artagnan.
D’Artagnan, assez surpris, s’apprêta à obéir. Charles II sortit, Monck le suivit, d’Artagnan suivit Monck. Charles prit la route que d’Arta-