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OTHON L’ARCHER

permis que tu me fisses la demande que tu m’as faite, c’est que mon jour est venu. J’ai passé neuf ans près de toi, neuf ans d’un bonheur qui n’était pas fait pour ce monde ; c’est plus qu’aucun homme n’en a jamais obtenu. Remercie Dieu comme je le fais, et écoute ce que je vais te dire.

« — Pas un mot ! pas un mot ! s’écria Béatrix ; pas un mot, je t’en supplie !

« Le chevalier étendit la main vers le point qui, depuis quelques minutes, commençait à devenir plus distinct, et Béatrix reconnut la barque conduite par le cygne.

« — Tu vois bien qu’il est temps, dit-il ; écoute donc ce que tu as eu si longtemps le désir secret d’apprendre, et que je dois t’apprendre du moment que tu me l’as demandé.

« Béatrix laissa tomber en sanglotant sa tête sur les genoux du chevalier. Celui-ci la regarda avec une expression indéfinissable de tristesse et d’amour, et, lui laissant tomber les mains sur les épaules :

« — Je suis, lui dit-il, le compagnon d’armes de ton père, Robert de Clèves, l’ami de ton oncle Godefroy de Bouillon ; je suis le comte Rodolphe d’Alost, tué au siège de Jérusalem.

« Béatrix jeta un cri, releva sa tête pâlie, et fixa sur le chevalier des yeux effrayés et hagards. Elle voulut parler ; mais sa voix ne put proférer que des sons inar-