Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/114

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— Oui.

— C’est drôle, car enfin vous achetez pour revendre au poids ; vous l’avez dit du moins, et du fer est du fer.

— C’est vrai, mais, voyez-vous, de préférence…

— Comme il vous plaira : achetez la cuirasse, ou plutôt, vous avez raison, allez, n’achetez rien du tout.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que, dans des temps comme ceux où nous vivons, chacun a besoin de ses armes.

— Quoi ! en pleine paix ?

— Mon cher ami, si nous étions en pleine paix, il ne se ferait pas un tel commerce de cuirasses, ventre de biche ! Ce n’est point à moi qu’on dit de ces choses-là.

— Monsieur !

— Et si clandestin surtout.

Le marchand fit un mouvement pour s’éloigner.

— Mais, en vérité, plus je vous regarde, dit le bourgeois, plus je suis sûr que je vous connais ; non, vous n’êtes pas Nicolas Truchou, mais je vous connais tout de même.

Silence.

— Et si vous achetez des cuirasses…

— Eh bien ?

— Eh bien, je suis sûr que c’est pour accomplir une œuvre agréable à Dieu.

— Taisez-vous !

— Vous m’enchantez, dit le bourgeois en tendant par le balcon un immense bras dont la main alla s’emmancher à la main du marchand.

— Mais qui diable êtes-vous ? demanda celui-ci qui sentit sa main prise comme dans un étau.

— Je suis Robert Briquet, surnommé la terreur du schisme, ami de l’Union, et catholique enragé ; maintenant je vous reconnais positivement.

Le marchand devint blême.