Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/13

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semblaient vouloir arracher aux arbres les dernières feuilles jaunissantes qui s’y balançaient encore tristement.

Trois de ces bourgeois causaient ensemble, ou plutôt deux causaient, et le troisième écoutait. Exprimons mieux notre pensée et disons : le troisième ne paraissait pas même écouter, tant était grande l’attention qu’il mettait à regarder vers Vincennes.

Occupons-nous d’abord de ce dernier.

C’était un homme qui devait être de haute taille lorsqu’il se tenait debout ; mais en ce moment ses longues jambes, dont il semblait ne savoir que faire lorsqu’il ne les employait pas à leur active destination, étaient repliées sous lui, tandis que ses bras, non moins longs proportionnellement que ses jambes, se croisaient sur son pourpoint. Adossé à la haie, convenablement étayé par les buissons élastiques, il tenait, avec une obstination qui ressemblait à la prudence d’un homme qui désire n’être point reconnu, son visage caché derrière sa large main, risquant seulement un œil, dont le regard perçant dardait entre le médium et l’annulaire, écartés à la distance strictement nécessaire pour le passage du rayon visuel.

À côté de ce singulier personnage, un petit homme, grimpé sur une butte, causait avec un gros homme qui trébuchait à la pente de cette même butte, et se raccrochait à chaque trébuchement aux boutons du pourpoint de son interlocuteur.

C’étaient les deux autres bourgeois, formant, avec ce personnage assis, le nombre cabalistique trois, que nous avons annoncé dans un des paragraphes précédents.

— Oui, maître Miton, disait le petit homme au gros ; oui, je le dis et je le répète, qu’il y aura cent mille personnes autour de l’échafaud de Salcède, cent mille au moins. Voyez, sans compter ceux qui sont déjà sur la place de Grève, ou qui se rendent à cette place des différents quartiers de Paris, voyez que de gens ici, et ce n’est qu’une