Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/131

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et de leurs qualités, qu’éloigné d’eux, isolé, triste, dans cette chambre sombre, il pensait à eux, à lui, à sa vie, et regardait dans l’ombre ces funèbres horizons déjà dessinés dans l’avenir pour beaucoup de regards moins clairvoyants que les siens.

Cette affaire de Salcède l’avait fort assombri. Seul entre deux femmes dans un pareil moment, Henri avait senti son dénûment : la faiblesse de Louise l’attristait ; la force de Catherine l’épouvantait. Henri sentait enfin en lui cette vague et éternelle terreur qu’éprouvent les rois marqués par la fatalité, pour qu’une race s’éteigne en eux et avec eux.

S’apercevoir en effet que, quoique élevé au-dessus de tous les hommes, cette grandeur n’a pas de base solide ; sentir qu’on est la statue qu’on encense, l’idole qu’on adore ; mais que les prêtres et le peuple, les adorateurs et les ministres, vous inclinent ou vous relèvent selon leur intérêt, vous font osciller selon leur caprice, c’est, pour un esprit altier, la plus cruelle des disgrâces. Henri le sentait et s’irritait de le sentir.

Et cependant, de temps en temps, il se reprenait à l’énergie de sa jeunesse, éteinte en lui bien avant la fin de cette jeunesse.

— Après tout, se disait-il, pourquoi m’inquiéterais-je ? Je n’ai plus de guerres à subir ; Guise est à Nancy, Henri à Pau : l’un est obligé de renfermer son ambition en lui-même, l’autre n’en a jamais eu. Les esprits se calment, nul Français n’a sérieusement envisagé cette entreprise impossible de détrôner son roi ; cette troisième couronne promise par les ciseaux d’or de madame de Montpensier n’est qu’un propos de femme blessée dans son amour-propre ; ma mère seule rêve toujours à son fantôme d’usurpation, sans pouvoir sérieusement me montrer l’usurpateur ; mais moi qui suis un homme, moi qui suis un cerveau jeune encore malgré mes chagrins, je sais à quoi m’en tenir sur