Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/137

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— Eh bien ! sire, reprit le duc, je crois en vérité qu’il a bien fait de mourir ; il vieillissait, beaucoup moins cependant que ses plaisanteries, et l’on m’a dit que la sobriété n’était pas sa vertu favorite. De quoi est mort le pauvre diable, sire ?… d’indigestion ?

— Chicot est mort de chagrin, mauvais cœur, répliqua aigrement le roi.

— Il l’aura dit pour vous faire rire une dernière fois.

— Voilà qui te trompe : c’est qu’il n’a pas même voulu m’attrister par l’annonce de sa maladie. C’est qu’il savait combien je regrette mes amis, lui qui tant de fois m’a vu les pleurer.

— Alors c’est son ombre qui est revenue ?

— Plût à Dieu que je le revisse, même en ombre ! Non, c’est son ami, le digne prieur Gorenflot, qui m’a écrit cette triste nouvelle.

— Gorenflot ! qu’est-ce que cela ?

— Un saint homme que j’ai fait prieur des Jacobins, et qui habite ce beau couvent hors de la porte Saint-Antoine, en face de la croix Faubin, près de Bel-Esbat.

— Fort bien ! quelque mauvais prêcheur à qui Votre Majesté aura donné un prieuré de trente mille livres et à qui elle se garde bien de le reprocher.

— Vas-tu devenir impie à présent ?

— Si cela pouvait désennuyer Votre Majesté, j’essayerais.

— Veux-tu te taire, duc : tu offenses Dieu !

— Chicot l’était bien impie, lui, et il me semble qu’on le lui pardonnait.

— Chicot est venu dans un temps où je pouvais encore rire de quelque chose.

— Alors Votre Majesté a tort de le regretter.

— Pourquoi cela ?

— Si elle ne peut plus rire de rien, Chicot, si gai qu’il fût, ne lui serait pas d’un grand secours.