Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/170

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Un certain grognement, parti du coin de la cheminée, interrompit Joyeuse, qui regarda tout étonné autour de lui.

— Ne fais pas attention, Anne, dit Henri en riant, c’est quelque chien qui rêve sur un fauteuil. Tu disais donc, mon ami, que ce pauvre du Bouchage devenait triste ?

— Oui, sire, triste comme la mort : il paraît qu’il a rencontré de par le monde une femme d’humeur funèbre ; c’est terrible, ces rencontres-là. Toutefois, avec ce genre de caractère, on réussit tout aussi bien qu’avec les femmes rieuses : le tout est de savoir s’y prendre.

— Ah ! tu n’aurais pas été embarrassé, toi, libertin !

— Allons ! voilà que vous m’appelez libertin parce que j’aime les femmes.

Henri poussa un soupir.

— Tu dis donc que cette femme est d’un caractère funèbre ?

— À ce que prétend du Bouchage, au moins : je ne la connais pas.

— Et malgré cette tristesse, tu réussirais, toi ?

— Parbleu ! il ne s’agit que d’opérer par les contrastes ; je ne connais de difficultés sérieuses qu’avec les femmes d’un tempérament mitoyen : celles-là exigent, de la part de l’assiégeant, un mélange de grâces et de sévérité que peu de personnes réussissent à combiner. Du Bouchage est donc tombé sur une femme sombre, et il a un amour noir.

— Pauvre garçon ! dit le roi.

— Vous comprenez, sire, continua Joyeuse, qu’il ne m’a pas eu plus tôt fait sa confidence que je me suis occupé de le guérir.

— De sorte que…

— De sorte qu’à l’heure qu’il est la cure commence.

— Il est déjà moins amoureux ?

— Non pas, sire ; mais il a espoir que la femme devienne plus amoureuse, ce qui est une façon plus agréable de guérir les gens que de leur ôter leur amour : donc, à partir de ce soir, au lieu de soupirer à l’unisson de la dame, il va l’é-