Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Moi ! s’écria Joyeuse, je n’ai jamais été si parfaitement libre de ma vie.

— C’est à merveille ; ainsi, tu n’as rien à faire ?

— Absolument rien, sire.

— Mais je te croyais en sentiment avec une belle dame ?

— Ah ! oui, la maîtresse de M. de Mayenne ; une femme qui m’adorait.

— Eh bien ?

— Eh bien ! imaginez-vous que ce soir, après avoir fait la leçon à du Bouchage, je le quitte pour aller chez elle ; j’arrive la tête échauffée par les théories que je viens de développer ; je vous jure, sire, que je me croyais presque aussi amoureux que Henri ; voilà que je trouve une femme tremblante, effarée. La première idée qui m’arrive est que je dérange quelqu’un : j’essaye de la rassurer, inutile ; je l’interroge, elle ne répond point ; je veux l’embrasser, elle détourne la tête, et comme je fronçais le sourcil, elle se fâche, se lève, nous nous querellons, et elle m’avertit qu’elle ne sera plus jamais chez elle lorsque je m’y présenterai.

— Pauvre Joyeuse ! dit le roi riant, et qu’as-tu fait ?

— Pardieu ! sire, j’ai pris mon épée et mon manteau, j’ai fait un beau salut et je suis sorti sans regarder en arrière.

— Bravo ! Joyeuse, c’est courageux ! dit le roi.

— D’autant plus courageux, sire, qu’il me semblait l’entendre soupirer, la pauvre fille.

— Ne vas-tu pas te repentir de ton stoïcisme ? dit Henri.

— Non, sire ; si je me repentais un seul instant j’y courrais bien vite, vous comprenez… mais rien ne m’ôtera de l’idée que la pauvre femme me quitte malgré elle.

— Et cependant tu es parti ?

— Me voilà.

— Et tu n’y retourneras point ?

— Jamais… Si j’avais le ventre de M. de Mayenne, je ne dis pas ; mais je suis mince, j’ai le droit d’être fier.