Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/176

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— Et quand sera ce moment, sire ?

— Dans une heure.

Joyeuse s’inclina respectueusement et se dirigea vers la porte.

Le cœur du roi faillit se rompre.

— Quoi ! dit-il, pas même la politesse d’un adieu ! Monsieur l’amiral, vous êtes peu civil ; c’est le reproche que l’on fait à messieurs les gens de mer. Allons, peut-être aurai-je plus de satisfaction de mon colonel général d’infanterie.

— Veuillez me pardonner, sire, balbutia Joyeuse, mais je suis encore plus mauvais courtisan que mauvais marin, et je comprends que Votre Majesté regrette ce qu’elle a fait pour moi.

Et il sortit en fermant la porte avec violence, derrière la tapisserie qui se gonfla, repoussée par le vent.

— Voilà donc comme m’aiment ceux pour lesquels j’ai tant fait ! s’écria le roi. Ah ! Joyeuse ! ingrat Joyeuse !

— Eh bien ! ne vas-tu pas le rappeler ? dit Chicot en s’avançant vers le lit. Quoi ! parce que par hasard tu as eu un peu de volonté, voilà que tu te repens !

— Écoute donc, répondit le roi, tu es charmant, toi ! crois-tu qu’il soit agréable d’aller au mois d’octobre recevoir la pluie et le vent sur la mer ? Je voudrais bien t’y voir, égoïste !

— Libre à toi, grand roi, libre à toi.

— De te voir par vaux et par chemins ?

— Par vaux et par chemins ; c’est en ce moment-ci mon désir le plus vif que de voyager.

— Ainsi, si je t’envoyais quelque part, comme je viens d’envoyer Joyeuse, tu accepterais ?

— Non-seulement j’accepterais, mais je postule, j’implore.

— Une mission ?

— Une mission.

— Tu irais en Navarre ?

— J’irais au diable, grand roi.