Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/227

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— Je prescris donc un exercice pour le soir ; je m’attendais à voir mes drôles exténués, hâves, suants, et j’avais préparé un sermon assez beau sur ce texte : Celui qui mange mon pain.

— Pain sec, dit Chicot.

— Précisément, pain sec, s’écria Gorenflot, en dilatant par un rire cyclopéen, ses robustes mâchoires. J’aurais joué sur le mot, et d’avance j’en avais ri tout seul une heure, quand je me trouve au milieu de la cour en présence d’une troupe de gaillards animés, nerveux, bondissants comme des sauterelles, et ceci est l’illusion sur laquelle je veux consulter les savants.

— Voyons l’illusion.

— Et sentant le vin d’une lieue.

— Le vin ! Frère Borromée vous avait donc trahi ?

— Oh ! je suis sûr de Borromée, s’écria Gorenflot, c’est l’obéissance passive en personne : je dirais à frère Borromée de se brûler à petit feu, qu’il irait à l’instant même chercher le gril et chaufferait les fagots.

— Ce que c’est que d’être mauvais physionomiste, dit Chicot en se grattant le nez, il ne me fait pas du tout cet effet-là, à moi.

— C’est possible, mais moi, je connais mon Borromée, vois-tu, comme je te connais, mon cher Chicot, dit dom Modeste qui devenait tendre en devenant ivre.

— Et tu dis qu’ils sentaient le vin ?

— Borromée ?

— Non, tes moines.

— Comme des futailles, sans compter qu’ils étaient rouges comme des écrevisses ; j’en ai fait l’observation à Borromée.

— Bravo !

— Ah ! c’est que je ne m’endors pas, moi.

— Et qu’a-t-il répondu ?

— Attends, c’était fort subtil.