Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je nourrirai frère Borromée de ses théories ; je lui servirai un plat, un verre vide, en lui disant : Désirez de toute la force de votre faim et de votre soif une dinde aux champignons et une bouteille de chambertin ; mais prenez garde de vous griser avec ce chambertin, prenez garde d’avoir une indigestion de cette dinde, cher philosophe.

— Ainsi, dit Gorenflot, tu ne crois pas à l’appétence, païen ?

— C’est bien ! c’est bien ! je crois ce que je crois ; mais brisons sur les théories.

— Soit, dit Gorenflot, brisons et parlons un peu de la réalité.

Et Gorenflot se versa un verre plein.

— À ce bon temps dont tu parlais tout à l’heure, Chicot, dit-il, à nos soupers à la Corne d’Abondance !

— Bravo ! je croyais que tu avais oublié tout cela, révérend.

— Profane ! tout cela dort sous la majesté de ma position ; mais, morbleu ! je suis toujours le même.

Et Gorenflot se mit à entonner sa chanson favorite, malgré les chuts de Chicot.

Quand l’ânon est deslâché,
Quand le vin est débouché,
L’ânon dresse son oreille,
Le vin sort de la bouteille ;
Mais rien n’est si éventé
Que le moine en pleine treille ;
Mais rien n’est si desbâté
Que le moine en liberté.

— Mais chut ! donc, malheureux ! dit Chicot ; si frère Borromée entrait, il croirait qu’il y a huit jours que vous n’avez ni bu ni mangé.