— Oh ! vous, c’est différent ; et puis pour crier les commandements il vous faut des poumons.
— Alors, un verre, rien qu’un verre de cette liqueur digestive, dont Eusèbe a seul le secret.
— D’accord.
— Elle est si efficace, qu’eût-on dîné de façon gloutonne, on se trouverait nécessairement avoir faim deux heures après son dîner.
— Quelle recette pour les pauvres ! Savez-vous que si j’étais roi, je ferais trancher la tête à Eusèbe : sa liqueur est capable d’affamer un royaume. Oh ! oh ! qu’est-ce que cela ?
— C’est l’exercice qui commence, dit Gorenflot.
En effet, on venait d’entendre un grand bruit de voix et de ferraille venant de la cour.
— Sans le chef ? dit Chicot. Oh ! oh ! voilà des soldats assez mal disciplinés, ce me semble.
— Sans moi ? jamais ! dit Gorenflot ; d’ailleurs cela ne se peut pas, comprends-tu ? puisque c’est moi qui commande, puisque l’instructeur, c’est moi ; et, tiens, la preuve, c’est que j’entends frère Borromée qui vient prendre mes ordres.
En effet, au moment même Borromée entrait, lançant à Chicot un regard oblique et prompt comme la flèche traîtresse du Parthe.
— Oh ! oh ! pensa Chicot, tu as eu tort de me lancer ce regard-là ; il t’a trahi.
— Seigneur prieur, dit Borromée, on n’attend plus que vous pour commencer la visite des armes et des cuirasses.
— Des cuirasses ! oh ! oh ! se dit tout bas Chicot, un instant, j’en suis, j’en suis !
Et il se leva précipitamment.
— Vous assisterez à mes manœuvres, dit Gorenflot en se soulevant à son tour, comme ferait un bloc de marbre qui prendrait des jambes ; votre bras, mon ami ; vous allez voir une belle instruction.